Cherche appart', désespérément

Louer un 40 m² sans charme ni ascenseur au 6ᵉ pour 80 % de son salaire ? Mais oui, pitié ! Bienvenue à Paris, où même les bons dossiers se font ghoster. Pardon, je vais être en boucle sur cette histoire d'immobilier <3

Gros Plan
3 min ⋅ 04/04/2025

En ce moment mes semaines se résument à : travailler et me voir refuser des appartements.

J’ai beau mettre ma plus belle chemise, rentrer mon septum bien profond, me mettre beau et bien coiffé pour avoir l’air solvable, avoir une femme fonctionnaire, des garant·e·s à plusieurs chiffres, rien n’y fait. Notre dossier n’a pas été sélectionné. Pas d’explications. Juste la sentence, quand elle arrive. D’autres fois, il faut accepter qu’on a été oubliées à la loterie de la chance, on se fait ghoster après le premier date comme un nouveau sur Tinder en 2018.

La plupart des agent·e·s immobilier·ère·s sont sympas pourtant. Quand je leur raconte notre situation, nos métiers, notre volonté de nous rapprocher du lycée de ma femme, je vois leur tête bouger, je crois qu’ils m’écoutent vraiment. Alors, je me prends à rêver et je les imagine défendre notre honneur à la réunion hebdomadaire des propriétaires-détectives, ceux-là mêmes qui ne nous choisissent jamais.

Il y aura toujours quelqu’un·e de plus riche, avec un meilleur salaire, avec de meilleur·e·s garant·e·s. Je me dis qu’il y a bien quelque chose d’humain dans cette machine à perdre, quelqu’un·e, quelque part, qui appuie sur le bouton final. Les agent·e·s disent souvent d’un air rassurant : “Le propriétaire ne vous embêtera pas, tout passe par l’agence.” Je voudrais lui parler pourtant, je voudrais lui promettre qu’on ne cassera rien, qu’on bouchera les trous et qu’il pourra garder ma caution à la fin. Cette personne est tellement loin, cachée derrière des barrages de standards d’agences et de SCI familiales, je ne peux rien lui dire, je ne peux pas plaider.

La moitié du temps, je me rebiffe. Je maudis Paris et le capitalisme et la propriété privée. Je trouve terrible de devoir mendier le droit de verser plus de la moitié de mon salaire à quelqu’un pour qu’il condescende à me croire digne d’habiter un 40 m²-sans-baignoire-sans-balcon-sans-cave-sans ascenseur-sans meubles-dans-la-cuisine-sans-volonté-de-faire-des-travaux-c’est-à-prendre-ou-à-laisser. Je hais les lois pour les riches et les niches fiscales. On ne trouve plus que des meublés à Paris, avec option canapé moche et matelas en plastique, tout ça pour un bel abattement fiscal de 50 %. Y’a pas de petits profits, y’a que des grandes victoires pour ceux qui ont de quoi rémunérer leur comptable.

Je hais les visites groupées, où nous nous jaugeons les un·e·s les autres, où nous nous jetons des sorts, non, pas toi, tu l’auras pas, gniagniagnia. Je hais les alertes sur mon téléphone, SeLoger, Jinka, Bien’ici et autres applis tueuses de joie de vivre, je me hais d’être conditionné·e en si peu de temps à sauter sur mon écran pour juger en quelques secondes de la possibilité d’habiter ce charmant 2 pièces sur cour au rez-de-chaussée d’une cour. Il faut se projeter bien vite, poupée en chiffon contre le pare-brise, sauter dans le vide, imagine, on met le canapé ici et le frigo dans l’angle, ça n’est pas lumineux, mais il faut le tenter.

Alors, on tente.

On double le mail, et puis on appelle, et puis on harcèle.

On se retrouve en liste d’attente pour visiter.

Souvent, on ne franchit même pas ce barrage-là.

On vous préviendra. On revient vers vous. Ils ne rappellent jamais.

Le reste du temps, je culpabilise d’être privilégié·e. Je sais que j’ai de la chance. J’ai pu vivre dans l’appartement de ma grand-mère à prix réduit pendant plusieurs années, ce qui m’a offert une qualité de vie que je ne retrouverai sans doute jamais. Ma famille était propriétaire de cet appartement, ce qui nous classe, nous aussi, dans le rôle des petits proprios bourgeois insupportables que je me mets à haïr. Parfois, c’est presque comme de l’injustice, comme si j’étais trahi·e par ma classe.

Et puis je me reprends. Je reste plus riche que bien des gens. Je ne suis pas seul·e. Nous gagnons plus que le salaire médian français. Nous partons en vacances. Nous ne manquons de rien. Nous allons finir par trouver. Je culpabilise de culpabiliser. Je devais arriver à gamifier cette période, à faire de cette recherche d’appartement une sorte de Zelda grandeur nature. Je n’y arrive pas. Je suis en colère. Je suis triste. J’ai du mal à penser à autre chose. Mon téléphone vibre. Une alerte SeLoger... Ça sera peut-être celui-là.

Sans doute pas.

Gros Plan

Gros Plan

Par Daria Marx

Les derniers articles publiés