Celleux qui savent

Un billet un peu chiant (et en retard) cette semaine. Pas de grandes envolées, pas d’introspection poétique, pas de souvenirs d’enfance. Juste un sujet qui me tient au corps : la pair-aidance. Ce mot qu’on entend de plus en plus, qu’on brandit parfois comme un slogan, alors qu’il parle avant tout de soin, de dignité, de résistance.

Gros Plan
4 min ⋅ 11/10/2025

Cette semaine, à l’occasion de la Semaine de la santé mentale, j’ai eu la chance d’assister et de participer à deux événements marquants. D’abord, la première journée du réseau français de pair-aidance en santé mentale, organisée par et pour les pair·es-aidant·es au Vinatier, à Lyon. Puis, les tout premiers États généraux de la santé mentale des femmes, au GHU Sainte-Anne.

Deux moments qui m’ont profondément enthousiasmée, parce qu’ils résonnent avec ce qui guide mes engagements : une santé ancrée dans le collectif, un soin humain et accessible, une recherche vraiment adaptée à toutes et tous.

Si vous lisez ce billet samedi matin, vous avez encore le temps de rejoindre les manifestations de la MAD PRIDE partout en France. Venez manifester avec nous, contre la psychiatrie qui abîme et pour la fierté folle. A Paris, c’est 14h à République, sautez vite dans votre douche

La pair-aidance, c’est une forme d’entraide fondée sur le partage d’expérience entre personnes qui ont vécu ou vivent encore une même réalité. On la retrouve surtout dans les domaines de la santé mentale, du handicap ou des addictions.

Dans mon travail, j’en vois chaque jour la force. Le pouvoir de l’exemple. L’espoir que cela fait naître. Les bénévoles pairs sont des personnes qui vivent avec un trouble psychique, qui ont connu des crises, traversé des épreuves, et qui ont trouvé les ressources pour avancer sur le chemin du rétablissement. Qui mieux qu’elles pour accompagner d’autres personnes confrontées à des difficultés similaires ? Qui mieux qu’elles pour comprendre de l’intérieur les douleurs, les doutes, les obstacles ? Pour rassurer et orienter ?

Ce soutien repose sur la reconnaissance mutuelle. Il vient compléter, plutôt que remplacer, les approches médicales traditionnelles. Pas ton psy, pas ton pote, juste ton pair. La pair-aidance part d’un principe simple, mais révolutionnaire : l’expérience vécue est un savoir. Les crises traversées, les stratégies trouvées, deviennent une ressource aussi précieuse que le savoir académique. Ici, pas de hiérarchie : la relation est horizontale, fondée sur l’échange et la réciprocité.

La pair-aidance favorise l’autonomie, la reprise de pouvoir sur sa vie, la reconstruction d’une estime de soi souvent mise à mal par la maladie, la stigmatisation ou l’exclusion. Mais elle va plus loin encore : elle interroge les institutions, bouscule les représentations du soin et du ‘malade’, et ouvre la voie à une santé mentale plus communautaire, plus humaine, plus inclusive.

Concrètement, un·e pair-aidant·e peut, à l’hôpital, faire le lien entre patient·es et équipes soignantes, faciliter la parole, préparer une sortie ou accompagner une reprise d’activité. Dans une association comme celle où je travaille, les pair-aidant.es animent des groupes de parole, accueillent les nouvelles personnes, organisent des ateliers, participent à des actions de sensibilisation ou mènent des échanges individuels. Et dans la recherche comme dans la formation, ils et elles apportent une perspective indispensable : celle des personnes directement concernées.

La pair-aidance n’est pas née d’une idée douce, ce n’est pas un acte de bien-être, mais un geste de résistance. Dans les années 1960 et 1970, aux États-Unis et au Canada, des personnes qui avaient survécu à la psychiatrie, aux internements forcés, aux électrochocs, à l’isolement, aux traitements imposés, ont commencé à se rassembler. Elles s’auto-désignaient comme survivant.e.s de la psychiatrie, et revendiquaient le droit de parler en leur nom, de partager leurs expériences, de s’entraider. C’était évidemment politique, radical, profondément humain.

Ces groupes d’usager.e.s et de survivant.e.s ont posé les bases d’un nouveau rapport au soin, et à l’instution médicale : horizontal, collectif, fondé sur le partage du vécu plutôt que sur l’autorité du savoir médical. De cette révolte est née une idée simple, mais révolutionnaire : rien sur nous sans nous, slogan désormais emblématique des luttes crip et du mouvement du rétablissement.

Dans les années 1990, la pair-aidance s’est peu à peu professionnalisée dans les pays anglo-saxons. On a commencé à former des pair-aidant·es, à reconnaître leur rôle dans le rétablissement, non pas comme thérapeutes, mais comme allié.e.s sur le chemin du mieux-être. En France, il a fallu du temps pour que ce mouvement traverse les murs des hôpitaux psychiatriques.

C’est seulement dans les années 2000 que la pair-aidance a commencé à s’y installer, portée par des associations et des collectifs. Aujourd’hui, le métier de médiateur.ice de santé pair.e existe officiellement. Le médiateur n’est plus bénévole, mais salarié.e par la structure de soins, reconnu.e comme un membre à part entière de l’équipe soignante. Il existe plusieurs licences professionnelles pour accéder à ce titre.

C’est une victoire. Mais c’est aussi une alerte : à force d’être institutionnalisée, la pair-aidance risque de perdre un peu de ce feu d’origine.

La pair-aidance, telle qu’on la connaît aujourd’hui, vient du Nord. De pays où des patient.e.s souvent blanc.hes, souvent de classe moyenne, ont décidé un jour de se lever contre l’institution psychiatrique. Ils ont inventé des mots magnifiques : rétablissement, empuvoirement, autodétermination. Et c’est précieux, bien sûr. Mais c’est aussi une vision très occidentale du soin : celle d’un individu qui se reconstruit seul, qui ‘reprend le pouvoir sur sa vie’. Dans beaucoup d’autres cultures, la santé mentale est l’affaire de tous.tes. Elle est relationnelle, spirituelle, collective. Elle se prend en charge dans la communauté, dans la famille, dans le lien.

Quand la pair-aidance arrive dans nos institutions, elle se blanchit, elle s’uniformise, elle s’académise. Elle devient un métier, un diplôme, un protocole. Et parfois, sans s’en rendre compte, elle exclut à nouveau celles et ceux qu’elle voulait inclure : les racisé·es, les précaires, les non-diplômé·es, les croyant·es, celles et ceux qui n’ont pas les bons mots pour dire leur souffrance. Celles et ceux qui pratiquaient la pair-aidance depuis de siècles, sans en avoir le vocabulaire, peuvent aussi se trouver exclu.e.s de cette nouvelle norme.

La pair-aidance reste une promesse magnifique : celle d’un soin fondé sur l’expérience et la dignité retrouvée, sur la fin de la domination soignant / soigné.e. Mais pour qu’elle tienne parole, il faut l’ouvrir, la décentrer, la pluraliser. Continuer à se battre pour faire accepter que le soin ne vient pas toujours de l’hôpital. Qu’il peut venir d’une cuisine, d’une mosquée, d’un salon de coiffure, d’un groupe WhatsApp. La pair-aidance doit se souvenir d’où elle vient : d’un refus de la domination. Et comprendre que certains systèmes de domination, aujourd’hui encore, parlent la langue du soin.

A cette heure, nous n’avons toujours pas de premier ministre. Toutes les associations perdent leurs financements, les mécènes sont frileux, bref, c’est la merde. N’oubliez pas de reprendre votre adhésion dans votre asso pref, à donner au planning familial, bref. Il faut qu’on se serre les coudes.

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Par Daria Marx

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