J’ai encore eu le covid. Et cette fois, j’ai eu plus mal à ma culpabilité qu’à ma gorge. Je me débats entre ma peur d’être contaminée et ma peur d’être jugée, entre mon envie de protéger et ma fatigue de le faire seule.
J’émerge d’un nouveau covid. Je trouve ça injuste. C’est con, je sais. Bien sûr que la maladie, c’est pas quelque chose qu’on mérite. Débarrassez-moi de ce nuage judéo-chrétien qui me fait penser que tout ce qu’il m’arrive est, quelque part, un châtiment ou une récompense qui me tombe sur la gueule. Je ne sais pas combien d’offrandes je dois faire à ce grand rien qui n’existe pas pour arrêter cette folle énergie qui me permet de fantasmer que mon seul destin contrôle les marées, les maladies et les victoires à Mario Kart.
Mon premier réflexe, quand la barre du test a viré au rouge, c’est de penser que j’avais merdé. Que j’avais trahi mes principes. Ma cause. Mon peuple. Que j’étais une mauvaise gauchiasse. Que j’étais responsable de mon état. Pourtant j’étais déja bien fatiguée, bien malade. Je n’avais pas vraiment besoin de cette couche de culpabilité bien grasse, elle ne m’a pas quitté pendant toute ma semaine passée au lit. Comme si j’allais décevoir les mien.ne.s. Comme si j’étais une traître.
J’ai honte de dire que j’ai encore attrapé le covid. J’ai l’impression qu’il faut que je me justifie. J’ai porté le masque longtemps, partout, tout le temps. Et c’est vrai, depuis l’été dernier, j’ai relâché un peu. Je ne me masque plus toujours au supermarché. Je ne demande plus systématiquement un test avant d’inviter les gens chez moi. Oui, je vais à des concerts, au cinéma, mais je me masque religieusement.
Je bosse en contact avec le public tous les jours. Je suis le seul à remettre un masque dès que quelqu’un.e est malade, dès que je renifle. J’ai toujours des tests à la maison, je ne rechigne pas à payer un PCR. Mon épouse est prof : elle ouvre les fenêtres, elle mange en terrasse en hiver, elle vérifie le taux de CO2 dans sa classe. Bien sûr, on pourrait faire mieux. Bien-sûr. On peut toujours faire mieux.
Je me justifie putain, c’est fou, je me sens obligée.
J’ai eu le covid plusieurs fois, malgré toutes les précautions, même quand je lavais mes courses à l’eau de javel et que je superposais un masque FFP2, un masque chirurgical et un clip de métal pour me protéger. J’ai attrapé le covid alors que je le craignais plus que tout, que je me testais tous les deux jours, avant de voir ma mère, avant de croiser quelqu’un.e de fragile. J’ai attrapé le covid alors que je me rendais malade d’angoisse à force de réfléchir aux modalités d’une vie normale en cohabitation avec des gens qui se foutent de ce virus. Je suis devenue la blague tendre de mon groupe de pote, celle qui ne fait plus la bise, celle qui exige d’aller dehors, même quand il flotte. Je continue à me vacciner, à me protéger. Mais ce n’est jamais assez. À quoi ça sert d’être la seule avec un putain de masque sur la gueule ?
Je me sens coincée entre deux mondes qui me rendent dingues. D’un côté, celles et ceux qui n’en ont plus rien à foutre. Qui ne se testent plus, ne se masquent plus, qui vont bosser, sortir, tousser sur tout le monde. C’est juste un rhume. Je ne vais pas en crever. Moi peut-être. Les mêmes qui se vantent de profiter de la vie, comme si protéger la santé des autres, c’était renoncer à vivre. Souvent jeunes, minces, valides. Ou complotistes. L’insouciance comme privilège ultime. Ils n’ont pas dans la tête les images des réanimations au journal de TF1, et les commentaires odieux sur ces gros.ses qui viennent affaiblir le système de soin. Ils n’ont pas peur de crever parce qu’ils sont plus fragiles, ou qu’ils seront mal soignés. Et puis au pire on meurt.
Et de l’autre côté, un mouvement anti-covid qui me parle de solidarité, de soins mutuels, de responsabilité collective, tout ce à quoi j’aspire, mais avec une telle intensité, une telle rigidité, que je ne peux pas respirer là non plus. Des injonctions à la pureté, à la vigilance totale, à la discipline morale. Comme s’il fallait choisir entre être inconscient ou parano. L’impression d’être sans cesse surveillée, d’être prise en faute. Je me surprends à ne plus poster d’images de certains événements sur les réseaux sociaux de peur de me prendre des remarques. Comme si j’étais responsable de chacun.e, de chaque respiration dans la salle. Comme si je devais, en permanence, montrer l’exemple.
Je voudrais être du côté du soin, du collectif, du respect des plus fragiles. Je ne me sens pas invincible face à ce virus, bien au contraire. Mais je n’ai plus la force d’être irréprochable. Je suis fatiguée, et j’ai besoin d’un monde dans lequel la prudence ne ressemble pas à une guerre, où la responsabilité ne s’accompagne pas d’isolement. Je ne sais pas comment faire pour réconcilier les deux.
Je ne sais pas comment faire pour ne plus attraper le covid.
Je me dis parfois que je devrais lâcher prise, moi aussi. Cesser d’y penser, arrêter de compter les jours, de retenir ma respiration quand je croise quelqu’un.e de trop près. Faire comme tout le monde, me dire que c’est fini. Mais dès que quelqu’un tousse à côté, tout remonte. Le souvenir du corps qui brûle, de la voix coupée, de la fatigue qui t’arrache au monde. Alors non, je n’y arrive pas.
L’état nous laisse seul.e.s avec le virus, dans un flou particulièrement grotesque : la responsabilité collective sans collectif. D’un tour de magie, on nous a retiré toutes les possibilités de nous arrêter pendant l’infection, de nous tester en laboratoire gratuitement, de mettre à l’abri nos proches. Pourtant, le virus est toujours là, silencieux, tenace, comme un rappel de notre fragilité et de ce lien qu’on nie sans cesse. Il handicape, il abîme, il tue encore. Qui s’en fout ? L’état, le gouvernement, et peut-être vous.
J’aimerais qu’on réapprenne à se protéger les un.e.s les autres sans avoir honte, sans se juger, sans se faire démonter. Qu’on se souvienne que prendre soin, ce n'est pas une lubie, pas une sanction, c’est juste une manière plus jolie d’habiter le monde. Je souhaite ca aussi à mon féminisme, à mon activisme. Plus d’écoute, plus de sens. Moins de performance.
Je retourne boire de la tisane en espérant retrouver ma voix. Le thym c’’est de la merde. Tout est chiant. Mettez des masques, vaccinez-vous.