Celui qui crache, celui qui mate, celui qui squatte

Piscine municipale, royaume du chlore et des illusions d’égalité. On y croise de tout : des cracheurs impunis, des Jean-Michel Papillon en liberté surveillée, et des regards poisseux qui s’accrochent aux corps comme du calcaire aux carreaux bleus. Petit inventaire des figures masculines qui gâchent mes longueurs.

Gros Plan
4 min ⋅ 19/09/2025

Trois façons qu’ont les hommes de me pourrir mes longueurs

Celui qui crache dans le bassin

Oui, vous avez bien lu, j’ai vu des hommes cracher de toute leur grande bouche dans le bassin. Ca se passe généralement en fin de ligne, après un crawl aussi énergique que désarticulé, alors qu’ils tentent de reprendre leur respiration de manière à la fois noble et virile. Ils toussent un peu, ils se raclent la gorge, et d’un coup, ils lâchent un énorme glaviot dans l’eau. La première fois, j’ai fui. J’ajustais mon bonnet dans la ligne voisine avant de repartir patauger quand j’ai vu l’amas mi-mou-mi-mousseux flotter vers moi. J’ai nagé comme jamais. Je l’imaginais rentrer dans mon nez, investir mes muqueuses. Je suis sortie de la piscine. La seconde fois (oui, il n’y a eu que deux crachats, deux cracheurs, mais ca suffit à me faire haïr la totalité des hommes cis), j’ai pris une voix de maîtresse d’école en CP pour dire “Pardonnez-moi, mais je ne crois pas qu’il soit permis de cracher dans l’eau”. On m’a prié d’aller me faire foutre bien fort. J’ai hésité à aller cafter au maître nageur. Qui crache dans l’eau ? Ça me semble étrangement plus violent qu’uriner. C’est pour moi l’équivalent d’une personne qui pisserait tout pénis dehors depuis le plongeoir en sifflotant. Je n’ai pas cafté. Je suis allée nager dans un autre bassin. Quand je recroise ce nageur, je tente de le tuer avec mes yeux. Je vous tiens au courant.

Celui qui vient nager au milieu de la ligne

Dans ma piscine, il existe une hiérarchie assez établie mais totalement implicite des lignes de nage. Tout à gauche, celle de celles et ceux qui ne nagent pas vraiment, qui font des mouvements ou qui veulent faire des gros plouf. Les trois du centre sont pour les nageurs rapides, l’une d’elle est réservée à la nage avec accessoires, tuba, palmes et gants, l’autre s’ouvre avec un panneau BRASSE INTERDITE. Et puis la mienne, tout à droite (étrange), celle des nageuses et des nageurs volontaires mais pas très doués, mon petit peuple de courageux endurants et de sirènes contrariées. On fait ce qu’on peut, aussi vite qu’on peut, et on s’encourage, on se donne des petits tips, on se salue, le mouvement est fluide, le rythme moyen. Comme dans toutes les piscines municipales, chaque ligne compte deux couloirs de nage, un aller, un retour. Les jours de grande affluence, il y a toujours un mec en moule-bite pour venir nager au milieu de ces couloirs. Entre ma petite brasse coulée tranquille et le dos approximatif de ma copine en rééducation que je croise au milieu du bassin, il y a Jean-Michel Papillon qui vient s’ébrouer et nager comme un gros chien inquiet. Il est tout fier de nous dépasser, on pourrait lui donner une petite croquette à l’arrivée, il est bien content le Jean-Mi, mais il fait chier tout le monde. Il contrôle mal ses mouvements et distribue les coups de pieds ou de mains, il fait splatch-splatch dans l’eau, il aveugle les passantes avec les clapotis de ses mains qui s’agitent, et puis merde Jean-Michel, c’est deux couloirs par ligne, pas trois, merde à la fin. Souvent, je suggère poliment à l’énergumène de rejoindre une ligne qui correspond mieux à son niveau (je suis un monstre de diplomatie quand je suis en tankini), mais Jean-Mi a toujours une bonne réponse à donner : il ne trouve pas son rythme, il a besoin de surveiller son sac, y’a pas de ligne pour nager le papillon slovaque. Bref, Jean-Mi, putain, casse-toi de ma ligne et retire ton pied de mon vagin, merci bien.

Celui qui mate et qui n’assume pas

Les mecs matent comme des porcs à la piscine, essayez de me faire changer d’avis, vous n’y arriverez pas. Not all men, ok, pour une fois, mais beaucoup de mecs. À peine cachés derrière leurs lunettes embuées, à travers les airs ou bien au frais sous l’eau, ils attendent subrepticement la moindre défaillance d’une culotte de bain ou d’un sein vagabond. Souvent, ils ne sont pas bien discrets, leurs yeux posés comme une grosse mouche bruyante sur un fruit délicat, je les vois suivre le mouvement des hanches des nageuses qui rejoignent le bassin. Sans vergogne même parfois, ils commentent entre potes de trempette les physiques dévoilés des baigneuses. Même moi, la très grosse gouine aux tatouages explicites, je n’échappe pas à leurs regards, je me sens alors souillée de la traînée de bave d’une immense limace. Parfois, un compliment bizarre sort de leur bouche. Comme vous avez un beau bonnet ! Votre serviette a l’air bien sèche ! Des balbutiements débiles, des prémices à une conversation qu’ils espèrent depuis qu’ils ont aperçu un minuscule centimètre de votre aréole. Les mecs matent, les mecs draguent, les mecs emmerdent les femmes, et c’est tellement un souci que partout dans les vestiaires, le personnel de la piscine a affiché de grands slogans contre le harcèlement, même dans le grand bain. 

Je me surprends à penser qu’il est presque surprenant que les hommes ne violent pas plus en milieu aquatique, finalement. Tous ces corps quasi nus, comment font ils pour se retenir, ces êtres inféodés à leurs hormones, ces hommes accablés par la misère sexuelle infligée par des femmes cruelles ? Je grossis un peu le trait, certes. Un peu. Les hommes violent, en maillot de bain, string ou en robe de bure, ils ne s’embarrassent pas de détails vestimentaires. Il n’y a pas d’uniforme pour les victimes. Habillez-vous comme vous voulez, venez comme vous êtes. Laissez votre liberté de consentir au panier à linge sale, on fera ce qu’on peut pour faire partir les tâches. 

Désolée pour la semaine dernière, j’ai oublié, mon chien a mangé mes devoirs.

La rentrée me roule dessus. Et vous ?

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Par Daria Marx

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