On parle de santé mentale partout : dans les podcasts, sur les réseaux, chez les influenceuses. Mais qui parle vraiment de psychiatrie, de prise en charge, de rétablissement ? Après deux jours de formation pour devenir secouriste en santé mentale, quelques nouvelles du front.
La semaine dernière, grâce à mon nouveau travail, j’ai participé à une formation qui me donne le titre aussi mystérieux qu’intriguant de secouriste en santé mentale. Deux journées d’apprentissage partagées avec quelques collègues, mais aussi avec de parfait·e·s inconnu·e·s venu·e·s d’horizons très différents, tous‧tes motivé·e·s par l’envie de mieux aider l’autre.
Dans une salle de réunion louée à la journée, autour d’une table tout droit sortie d’un catalogue d’entreprise, une psychologue clinicienne, formatrice en premiers secours psychiques, nous a transmis l’essentiel. Comment répondre à une crise suicidaire ? Comment parler avec une personne en pleine crise psychotique ? Comment évaluer l’urgence d’une situation ? Comme on apprend à faire un garrot ou à masser un cœur au BPM de Staying Alive, on répète des gestes, des mots, des postures pour faire face à la douleur, à l’angoisse, aux hallucinations.
Ce programme, venu tout droit d’Australie, est pensé pour permettre à chacun·e d’aider sans commettre de faux pas, sans peur d’aggraver la situation ou de se mettre en danger.
Comme dans toute bonne formation, le manuel est un peu cringe. Il sent la traduction rapide, les illustrations choisies par un stagiaire en fin d’année. Pour parler des troubles des conduites alimentaires, on trouve par exemple l’image d’une jeune fille mangeant des spaghettis au-dessus de ses toilettes. Caricatural, un brin maladroit. Chaque chapitre s’ouvre sur une œuvre d’art censée nous délier le cerveau, casser nos représentations. Bref, on retrouve tous les gimmicks agaçants de n’importe quelle formation, de la nouvelle appli de compta à la méthode miracle pour arrêter de ronfler.
La formatrice, elle, est super. Un peu trop enthousiaste, comme il se doit, pour nous réveiller et nous faire participer. Les exercices sont répétitifs, les acronymes un peu forcés, qu’on finit par chantonner en chœur comme des élèves modèles. Mais ça fonctionne. Après deux jours et huit cafés, nous avons parcouru un vaste panorama de troubles et de situations. Nous ne sommes pas devenu·e·s soignant·e·s, évidemment. Mais nous avons appris à aider. Nous avons des clés.
Je me demande quand même si un jour, plongée dans mes mots fléchés, j’entendrai le chef de bord du TGV demander l’assistance d’un·e secouriste en santé mentale. Je crois qu’on n’y est pas encore.
Et pourtant. Des crises d’angoisse dans le métro, des personnes qui divaguent dans la rue, des personnes âgées désorientées, des proches en pleine crise suicidaire : on en croise tous les jours. Et combien de jeunes parlent encore du « fou du bus » ? Combien utilisent cette expression pour désigner quelqu’un qui sort de la norme, qui porte sur lui les stigmates d’un trouble psychique ?
On parle de santé mentale à toutes les sauces. Dans les podcasts, sur les réseaux, chez les influenceuses. Chacune a sa routine bien-être, sa méthode pour préserver sa santé mentale. Un peu comme pour #MeToo, il y a eu un avant et un après Covid. Comme si le confinement avait révélé toutes les personnes anxieuses, déprimées, toutes celles qui entendent des voix.
Je n’y crois pas.
Comme pour #MeToo, tout le monde allait déjà très mal avant. Tout le monde se faisait déjà violer avant. Ce qui a changé, c’est qu’on a commencé à écouter. Pas à soigner. Pas à accueillir dignement dans les commissariats ou à ouvrir plus de lits en hôpital. Juste à écouter un peu plus.
On parle de santé mentale partout, mais jamais de psychiatrie. On veut aller mieux grâce au yoga du rire, aux compléments au safran, à une thérapie avec une fille géniale formée à une technique floue. L’hôpital, les urgences psy, les neuroleptiques, les diagnostics lourds, le handicap, ça ne passe pas bien sur fond pastel. C’est pour les autres. It’s not giving.
Aujourd’hui, on trouve ça chic d’aller mieux. Pas bien. Juste mieux. D’avoir une méthode. D’avoir tenu bon. De s’en être sorti·e. C’est joli une cicatrice quand elle est bien racontée, en épisodes de 52 minutes, dans un podcast au son feutré.
Olala, je suis piquante. Pardon. J’adore les podcasts, vous le savez. Mais je vois bien comment tout se vend désormais comme une « épreuve de santé mentale » : une rupture, un licenciement, un premier amour. Il n’y a plus d’étapes de vie. Que des événements MAJEURS.
Je vieillis. J’ai eu dix vies différentes. Et si je devais parler vraiment de ma santé mentale, il faudrait évoquer le vomi et l’anxiété, les hallucinations et les conduites à risque, le CMP saturé et la prise en charge tardive, les ordonnances qui tabassent, et le privilège immense de pouvoir me soigner.
Se soigner est un sport de combat. Se soigner dignement pour un trouble psy, c’est du MMA dans un labyrinthe pour CSP+. Rien de romantique. C’est rester sur un brancard plusieurs jours aux urgences parce qu’il n’y a plus de lits. C’est accepter des conditions d’hospitalisation qui flirtent parfois avec la privation de droits. C’est l’institution, l’administration, la stigmatisation. Le rétablissement sans guérison, la réadaptation, juste faire avec, recommencer à mettre un pied devant l’autre. Retrouver un goût, un rythme. Réapprendre à être. Pleinement.
Je suis secouriste en santé mentale. Et vous devriez tous·tes l’être. Même si vous n’y connaissez rien. Même si tout va bien autour de vous. Écouter des podcasts ne suffit pas.
Plus nous serons formé·e·s à comprendre les réalités des troubles psychiques, plus nous permettrons à celles et ceux qui en souffrent d’être entendu·e·s, reconnu·e·s, regardé·e·s comme des égaux. Plus la police et les pompiers seront formés, moins il y aura de violences, moins il y aura de morts. Moins d’affaires comme celles de Fabien ou de Luis Bico, abattus parce que fous.
Plus nous resserrerons ensemble le tissu fragile de ce qui fait société, plus nous pourrons apprendre à ne plus détourner les yeux. À porter assistance à notre voisin‧ne, à la boulangère, à l’inconnu du bus. Oui, celui-là.
Plus nous pourrons espérer nous sauver, tous·tes ensemble. La santé mentale commence là.