Mes podcasts préférés (non) sont ceux de meufs pleines de codes promo qui réagissent à des récits traumatiques comme si elles découvraient la misère du monde entre deux sponso AirBnb. Et pourtant, j’écoute. Je roule des yeux, je soupire, et parfois, je me reconnais. Ceci est une tentative de rédemption.
Il y a dans l’immense liste des podcasts que je déteste écouter (vous savez maintenant) quelques spécimens qui sortent particulièrement du lot. Celui d’une influenceuse, dont j’ai oublié pourquoi elle était influente, pourquoi nous devrions lui apporter plus de crédit qu’à moi sur son choix de boisson énergétique ou sur son robot aspirateur de choix, m’agace à un niveau tout à fait stratosphérique. Il s’agit pour elle de se planter derrière un micro et de réagir à des histoires terribles de vies affreuses, racontées par des gens trop contents de venir se confier en public, se divulguer en se montrant du doigt, pourrait-on dire. Sa posture est celle de la neutralité revendiquée : elle explique fièrement qu’elle ne prépare pas ses podcasts, qu’elle a une équipe qui choisit pour elle les témoignages et qui écrit les questions, elle nous assure de sa réaction la plus authen-tique. Et nous, humbles cloportes aux oreilles désœuvrées, nous sommes priés de faire bon accueil aux révélations surprises toute droit sorties de sa bouche, en direct de son larynx vers nos esgourdes.
Mais qui veut encore de l’authen-ti-ci-té dans un monde où Trump est réélu, qui veut encore écouter les déductions façon café-matcha-commerce d’une lambda sponsorisée sur l’histoire d’une inconnue ? On est la dans un voyeurisme bon teint, quelque chose de meta, on se délecte du malheur des autres, de leurs histoires de tromperies, d’inceste, mais on dissèque également les réactions tellement “brut de pomme (pardon) de notre podcasteuse. Ainsi, quand elle demande pour la 34ᵉ fois à la femme battue venue parler de sa sortie homérique d’une emprise quasi létale MAIS POURQUOI TU ES RESTÉE EN FAIT, on se surprend un mouvement d’épaule impatient, un roulement de l’oeil gauche. Ce n’est pas seulement la violence sourde du récit de l’horreur commune qui vient nous faire friser dru, mais aussi les réactions toujours délicieusement à côté de la plaque de notre star. J’en suis, de ces gens, j’en suis et je me maudis d’en être, croyez-moi. Je plaide l’immense trou qui me sert de garage à estime de moi. Pardon maman, pardon papa.
Bref, hopla, revenons à l’épisode de la semaine dernière, que j’écoute dans un grand chambardement personnel de cartons de déménagement et de gros scotch marron dont tu perds toujours le bout, les ongles tous cassés à fort de gratter le rouleau en hurlant qu’on ne se s’en sortirait jamais, never, laissez nous plutôt crever. Dans une ambiance sereine donc. J’étais toute prête à me détendre en maudissant sur douze générations notre hôtesse habituelle, dont le placement commercial d’ouverture pour Airbnb, suivi d’un laïus pour nous expliquer à quel point elle est de gauche, me donne à coup sur envie d’emplafonner un truc, un vase moche de préférence, ou un cadeau de mon ex-belle-mère, ça fera l’affaire. Mais pour une fois, la belle douée en marketing ne raconte pas que des sottises, elle s’épanche sur sa jeunesse, elle raconte sa soif de plaire et ses conquêtes toujours déçues, son sentiment d’avoir utilisé son corps comme outil transactionnel pour recevoir un peu d’attention ou de tendresse. Alors pour quelques minutes, entre deux moutons de poussières et trois grognements de rage, je l’écoute pour de vrai, j’entends sa peine, je la vois refaire le chemin douloureux de ses nuits passées à attendre un mec qui arrivera ivre pour essayer de te baiser sans réussir à bander.
Et je compatis, bien sûr, et je me reconnais, et je repense moi aussi à toutes les heures gâchées à m’épiler et à me parfumer le moindre bourrelet pour un homme qui voulait juste se vider. Les projections amoureuses, le rêve d’enfin plaire, l’enfer de la solitude qui te pousse à accepter n’importe qui, n’importe quoi, pourvu que ça respire, pourvu qu’il te prenne un peu dans ses bras. Je pensais que c’était un truc de grosse, c’est quelque chose que j’évoque souvent dans les groupes de parole, dans le milieu gros, cette obligation de se brader, cette honte d’être celle ou celui qu’on baise en secret, au milieu de l’après-midi ou de la nuit, celle à qui on propose la sodomie et les plans à trois alors qu’on est trop sage avec l’officielle. Celle qui en fait trop, celle qui veut performer mieux que les autres, mieux sucer, mieux encaisser, mieux cuisiner, ne jamais pleurer, s’en foutre s’il ne rappelle jamais. Être plus forte que tout, tout le temps, toujours, se tenir droite, assumer, s’assumer. Et puis j’ai découvert que c’était plus répandu, que c’était une expérience collective de la plupart des femmes, même de celles qui sont belles comme sur du papier glacé, même de celles que je jalouse en secret. Je les écoute parler dans le métro, elles sont parfaites, elles sont si belles, et pourtant elles rencontrent les mêmes connards, ceux qui ne rappellent jamais, ceux qui mentent pour les baiser, les mêmes histoires, la même merde remuée par des générations et des générations de gars téléguidés par leur bite comme des petits robots mal programmés.
Et voilà qu’on se retrouve toutes, qu’on se ressemble, que nos histoires s’emboîtent comme des tupperwares mal fermés dans un frigo qui sent le moisi. La reine du podcast, moi, mes copines, les passantes du métro, les potes d’Instagram. Même rengaine, même solitude maquillée, même besoin d’amour, même trou abyssal à la place du soi, tout se transforme en sale troc. Même incapacité chronique à dire non sans avoir peur de n’être plus rien. A croire qu’on nous enlève à l’enfance la capacité même de prononcer ce mot : NON.
C’était pas parfait, attention. J’ai levé les yeux au ciel quand elle a dit qu’elle avait “manqué de repères masculins stables”, ma main à couper qu’un jour elle va nous vendre un ebook de développement personnel à 49,99€, mais sur le fond, elle était touchante. Elle me ressemblait. On fait toutes comme on peut, et parfois, comme des merdes. Et elles le disent, les filles parfaites et les autres, les baisables et les moches, toutes ensemble dans un même cri : qu’elles sont fatiguées, qu’elles en ont marre, qu’elles voudraient juste un gars gentil qui ne leur demande pas d’être “cool avec le polyamour” alors qu’il ne connaît même pas leur date de naissance. Et je les crois. Et je les encourage à dire non. Et je les supplie de faire attention.
Ca ne devrait jamais être normal. Normal de supplier pour un peu de tendresse, normal de se dire qu’il faut bien “prendre ce qu’il y a”, normal d’avoir honte d’attendre quelque chose de plus. On appelle ça l’émancipation, mais c’est surtout une immense arnaque quand on finit toutes rincées, la bouche pleine de compromis (ou de bite) et les mains et le coeur vides. Bien sûr, je pourrais vous conseiller de quitter immédiatement l’hétérosexualité, mais il paraît que ce n’est pas aussi simple (essayez tout de même, on ne sait jamais). Il paraît qu’il y a des mecs bien, il paraît qu’ils se déconstruisent, il paraît. En attendant, prenez soin de vous, mes sœurs, les avions de chasse et les autres, les petites grosses et les grandes planches, ne laissez personne vous faire croire qu’il vous faut négocier votre dignité ou l’accès au respect.
Cette leçon en sororité vous est offerte par une autrice bien fatiguée, mais bien déménagée. Merci pour votre patience, désolée pour le loupé de la semaine dernière. Pardonnez-moi de ne pas rentrer dans des considérations plus politiques, le monde est terrifiant‧