Un nouveau texte sur mon marronnier personnel : pourquoi écouter des podcasts que je déteste le dimanche au petit-déjeuner ? Cette question ancestrale vous passionne, j'en suis sûre, ne faites pas l'économie de la lecture de mon petit état d'âme senteur arabica-biscotte.
Si vous suivez mes aventures depuis un petit moment, vous avez compris que l’un de mes plaisirs du week-end – et plus particulièrement du dimanche au réveil – c’est de petit-déjeuner en écoutant un podcast que je déteste. Ma merveilleuse épouse tolère bien trop souvent ce petit vice, se repaît de mes remarques acerbes et de mes exclamations pleines de mauvaise foi. Parfois, elle me demande de mettre un casque. Parfois, elle me rappelle gentiment que, vraiment, le 119e podcast sur les nazis, les Le Pen ou les influenceuses que je déteste, c’est non. C’est merci, mais non merci. Tu veux pas qu’on écoute FIP plutôt, mon chéri ?
Je m’adonne donc à ce plaisir solitaire et honteux pendant que je promène le chien, que je fais la vaisselle ou que je passe l’aspirateur. J’ai débloqué un nouveau plateau de bonheur en écoutant les voix que je méprise le plus pendant mes séances de sport. Râler me débloque autant d’endorphines qu’un bon HIIT. Mon rêve secret ? Devenir streameuse et organiser des séances de react à mes podcasts préférés-que-je-hais. Mais je n’ai toujours pas trouvé la formule qui me permettrait de le faire sans déclencher une vague immonde de harcèlement sur celleux que je critique. Un jour, peut-être, dit-elle en soupirant.
Le truc, c’est que ces grandes marées noires de l’esprit ne sont pas uniquement des catastrophes de la pensée (rien que ça). Elles sont aussi des opportunités pour moi de me confronter à des systèmes de pensée bien éloignés du mien. Autant de fenêtres ouvertes sur les appartements mentaux de gens qui ne m’inviteront jamais à dîner. Je pourrais dire que j’aime connaître mon ennemi, mais c’est plus sale que ça. Je le jalouse aussi.
Quelque chose de petit en moi hurle à l’injustice. Moi aussi, je veux recevoir des kilos de colis de marques de cosmétiques. Moi aussi, je veux être invitée à un défilé dans un champ de lavande. Pour y faire quoi ? Rien. Juste pour gâter la petite enfant contrariée qui s’abrite entre mes deux bourrelets et que je ne cesse de rassurer. Tu fais le taf. Tu n’as pas besoin de faire plus de bruit que les autres pour exister. Et puis, t’aimes même pas ça, les champs, ni parler aux gens pour ne rien dire.
Dans la confusion générale liée à l’incarnation des discours militants et des idées par des meufs bonnes d’Instagram, quelque chose est venu gripper mon système de récompense. Pourtant, ces meufs font, elles aussi, une partie du taf. Elles le font autrement, souvent par des moyens que je méprise, bêtement drapée dans mes idéaux, mais elles font. Dans ces dîners où je ne suis pas la bienvenue, elles arrivent à faire exister le début d’une parole féministe.
On est ensemble, dans la même maison, mais pas dans les mêmes pièces.
Certaines prennent l’ascenseur, d’autres les escaliers de service.
Y en a pourtant, avec toute la meilleure volonté sororale, avec toute la patience du monde, je peux pas, je n’y arrive pas. Je rêve de les provoquer en duel, octogone en masque de catch, obligé. Tu parles. Une fois dans les cordes, dans mon plus beau costume lamé, je vais perdre mes moyens, la regarder d’un œil nouveau, tout lui pardonner. On se retrouvera allongées sur le ring, à boire de la tisane en se racontant nos viols, oh comme on rira.
Sauf certaines. Les fafs, les terfs et autres borborygmes odorants, celles-là peuvent rester au vestiaire avec les slips souillés.
Mais pour les autres, pour les gens qui pensent s’embrouiller avec moi, il suffit de passer un petit chiffon mouillé sur mon ego boursouflé de grosse dinde à l’hélium pour se rendre compte que je suis plutôt sympa, en fait. Que de la gueule, pour résumer. Et puis, je traîne une telle habitude à la culpabilisation que c’est vraiment trop simple de me faire flancher. Je suis ceinture noire de "c’est-de-ma-faute-pas-de-la-tienne", césar d’honneur de la bonne poire, option "je-me-soigne", promis.
Finalement, je me déteste de détester ces meufs.
Voilà, la boucle est bouclée.
Livrez-moi plutôt un podcasteur mec cis bien sûr de lui, un coach en séduction ou un expert new age, déposez-le-moi en salle 4, je vais m’en occuper. Ces entrepreneurs de l’idée qui débitent leurs poncifs "déconstruits" devraient être condamnés à des services civiques en association féministe.
Je râle dans le vide. Et pourtant, je continue.
Chaque dimanche, comme une cérémonie profane, je me verse un café et j’appuie sur play. À croire que j’ai besoin de ce fond sonore de bêtises suffisantes pour donner un relief à mes matinées. Peut-être qu’au fond, râler, c’est mon cardio intellectuel, mon rituel d’endurance face à l’époque. Il faut bien trouver un peu de plaisir dans cette tornade de merde.
Un jour viendra où le monde sera réparé, où je pourrai poser mon cerveau et profiter d’un brunch sponsorisé par une marque de probiotiques en toute insouciance.
Un jour viendra où je serai réparée.
Pas tout de suite. Je suis trop empilée d’idées, trop lestée de contradictions.
Alors, à défaut de sérénité, je me rabats sur ma meilleure arme : la moquerie. Sur mes bancs de musculation comme sur Twitter, j’affûte mon petit ton mordant, je perfectionne mes uppercuts rhétoriques.
J’ai appris à les garder pour moi. Enfin, presque.
Je sais bien qu’au fond, ce n’est que du bruit pour masquer une vérité simple : tout ça me travaille plus que je ne veux l’admettre.
Alors, allez-y, servez-moi mon prochain épisode, alignez-moi mon prochain coach en charisme ou mon gourou du bien-être entrepreneurial.
Je vais faire mon numéro. Je vais lever les yeux au ciel. Je vais fulminer.
Je suis impuissante. Je n’en fais pas assez.
Demain, rien n’aura changé.