Twitter : Une maison en ruines que je n’arrive pas à quitter

Twitter a été ma prison et ma planche de salut, un espace où j’ai appris à écrire, à rire et à me relever, mais aussi un terrain de haine, de harcèlement et de clashs. Aujourd’hui, X est méconnaissable, rongé par des agendas toxiques. Partir devrait être simple, mais quitter cette plateforme, c’est renoncer à une partie de ma vie. Rien que ca.

Gros Plan
5 min ⋅ 17/01/2025

Le 20 janvier 2025, un mouvement coordonné appelle les utilisateur‧ice‧s à quitter la plateforme X (anciennement Twitter), en réaction aux orientations prises par son propriétaire, Elon Musk, et à la nomination de ce dernier à un poste gouvernemental aux États-Unis. Ce départ collectif vise à dénoncer la transformation de la plateforme en un outil servant des agendas politiques jugés extrémistes, ainsi que la propagation de désinformations et de discours haineux. Il faudrait migrer vers Bluesky ou Mastodon, des réseaux sociaux plus vertueux, qui échappent aux délires fascistes et mégalomaniaques de leurs patrons, à l’instar de Facebook, Instagram, et évidemment Twitter. Je n’ai jamais réussi à passer à l’X, laissez-moi tranquille. 

Je me suis inscrite sur Twitter en 2008 pour la première fois, pour stalker un mec. Voilà, vous savez tout. Au début, je ne comprenais pas cette nouvelle façon d’échanger, de parler de soi. Ça ne m’intéressait pas vraiment. Je voulais juste pouvoir jeter un œil de temps en temps sur mon ex. Pas de bol, il n’a jamais vraiment utilisé son compte. C’est moi qui suis tombée dans la marmite. Au début, nous sommes très peu sur le twitter français. Il y a la team de nuit, celle des insomniaques, il y a les mecs d’internet, il y a les méchants, il y a les rigolos, il y a les populaires, c’est vraiment comme une cantine dans un film US. Certain‧e‧s se connaissent aussi dans la vraie vie, certain‧e‧s se rencontrent lors de soirée dédiée à la plateforme. Les cool kids sont souvent celleux qui travaillent en agence de pub, les journalistes.

Mon usage de twitter est alors proportionnel à mon taux de bonheur. Je suis très malheureuse. Je tweete beaucoup. A l’époque, j’habite à Sarcelles, j’ai quitté tous mes repères pour m’enfermer dans un appartement vide, après un burn-out terrible. Je crois être dans une relation formidable avec un homme génial. Je pense pouvoir mettre fin à mes souffrances psychiques en me trouvant une identité, en rentrant dans un moule très strict. Je brûle tous les ponts qui me relient à moi. Je veux être quelqu’un d’autre. Une génération spontanée. Cela ne fonctionne pas. Je m’enterre. Je deviens tellement agoraphobe que je ne peux plus aller chercher le courrier sans subir d’atroces crises de panique. Respirer librement est une épreuve. Je survis comme un animal dans sa cage, avec pour seules sorties obligatoires le tabac et les courses. Mon cœur bat si fort quand je passe la porte que je crois mourir. Ma vie est à l’arrêt. Il n’y a qu’un psychiatre à Sarcelles, un charlatan qui prétend me soigner en me faisant écouter des ondes spécifiques. Il m’est impossible de me déplacer. Je me vois mourir ici, dans l’appartement vide qui aurait dû accueillir le début du reste de ma vie. 

Sur Twitter, je suis libre. Je ne suis pas tout à fait moi. Pas tout à fait autre. Je m’autorise l’impudeur, l’humour, la liberté de ton que je m’interdis. Personne ne peut imaginer la réalité de mes conditions de vie en me lisant. J’en dis beaucoup pourtant, entre les tweets, entre les lignes. Je commence à écrire sur mon blog, j’ai beaucoup de relais, les gens me lisent. Je prends confiance en moi. Je suis capable d’écrire, de faire rire, d’intéresser. Twitter devient ma maison, mon village. J’en connais toutes les ruelles, toutes les bandes. Je voudrais les rejoindre, ceux qui sortent, ceux qui vont au cinéma ensemble, ceux qui deviennent ami‧e‧s du dehors. C’est plus compliqué pour moi. Il faut aménager des rencontres, on me dépose, on vient me chercher, on m’accompagne. Mon angoisse m’handicape sévèrement. Alors j’écris des milliers de messages, je raconte ma vie, je regarde la télé avec d’autres, je partage mes colères, j’ai cette impression de ne plus jamais être seule. Je ris, je pleure, je vibre au rythme des tweets. Et puis il y a ces femmes, ces féministes qui vont m’ouvrir le crâne en deux, me donner à penser et à lire. Lentement, sans le savoir, elles modifient le cours de ma destinée. 

Je vais réussir à sortir. Toujours accompagnée d’abord. Je vais rencontrer mes amies. C’est nouveau et formidable. Je ne suis pas douée pour lier des amitiés. Je suis trop timide, je me cache derrière un masque de grande gueule insupportable. Et puis j’étais grosse, soyons honnête, ca ne facilitait rien. Plus jeune, je pense que j’étais même méchante, je voulais faire rire à tout prix, avoir le bon mot, même si je faisais souffrir J’avais peur qu’on se moque de moi, j’avais peur qu’on devine mon malaise, alors j’attaquais en premier. J’ai encore en tête le nom des gens à qui je voudrais présenter des excuses Un jour, peut-être. Alors se faire des ami‧e‧s à 30 ans, c’est inespéré. Twitter me fait rencontrer des gens qui deviennent mes piliers. Aujourd’hui encore, la majeure partie de mes proches vient de ce réseau. J’ai aussi pu travailler, avoir accès à des opportunités géniales, recevoir de l’aide concrète ou du soutien moral. Toute cette communauté, celles et ceux que je connaissais, avec qui je discutais, mais aussi celles et ceux que je détestais, que j’insultais, mes souffres douleurs et mes crush secrets, tout ces gens existent fort dans ma tête et dans mon cœur, aujourd’hui encore. 

Il n’y a pas que du bon. Il n’y a pas que des moments cathartiques et des rencontres magiques. J’ai eu un comportement de merde sur Twitter. J’ai harcelé J’ai participé à des harcèlements. J’ai eu des propos problématiques. Avec le recul, je peux l’expliquer de tas de façons. J’étais mal, je ne savais pas, je ne connaissais pas, j’apprenais encore. La vérité, c’est qu’il y avait une certaine forme de jouissance, une certaine forme de vice, à trouver du pouvoir sur Internet alors que je n’en avais plus aucun sur ma propre vie. Se clasher avec quelqu’un‧e, c’était attirer la lumière sur soi. Toujours trouver à redire sur les idées et les discours des autres, c’était prouver qu’on savait mieux. J’ai aussi beaucoup morflé. J’ai été poursuivie pendant de trop longues années par une petite bande de mecs, très fiers d’aller toujours plus loin pour m’humilier. Ils se filmaient en train d’uriner sur ma photo. Ils diffusaient des photos montage pornographiques avec mon visage. Ils créaient de fausses annonces sur des sites avec mon numéro de téléphone. Et surtout, ils m’insultaient, ils m’accablaient et me diminuaient sans cesse. Parce que j’étais grosse, parce que j’étais moche, parce que j’étais une femme, qui sait ? J’ai voulu mourir, plusieurs fois. J’ai voulu les tuer aussi. Je rêve encore aujourd’hui parfois encore d’en défoncer certains à la batte de baseball. Je n’arrive pas encore à pardonner. Pas eux. Pas lui. 

Je ne tweete plus autant. Je vais mieux. Ma vie va mieux. Je ne cherche plus à être quelqu’un d’autre. Mais j’ai du mal à abandonner mes vieilles habitudes. Je remonte toujours les TL des gens que j’aime ou qui m’agacent. Je recherche toujours le nom de certaines personnes. Quand il m’arrive quelque chose de drôle, de chiant, j’ai envie de le partager. Je suis shadowban, c'est-à-dire que mon compte ne s’affiche plus, et mes tweets ne sont plus présentés. Je suis donc moins lue. Presque pas. Ce n’est pas grave. Je ne tweete presque que pour moi maintenant. Je voudrais quitter X, mais je n’y arrive pas encore. Pour l’instant, je suis encore là, à anticiper la nostalgie d’un endroit qui n’a jamais vraiment existé.

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Par Daria Marx

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