Il se passe des trucs dans ma vie en ce moment, pardonnez le vocabulaire un peu vague, je vous en dirai plus bientôt, peut-être. Des choses bonnes pour moi, organisées et décidées par moi, des bifurcations que j’attendais depuis longtemps de pouvoir réaliser, des suites logiques d’actions mises en musique par mon cerveau finalement pas si abîmé. Parmi ces petits changements qui font les grandes rivières, il y a la réussite de mon diplôme universitaire sur le thème du rétablissement en santé mentale. Pendant un peu plus d’une année, quelques jours par mois, j’ai retrouvé les amphithéâtres, les salles de cours qui sentent la sueur et le café froid, les copain.e.s de promo et les pauses clopes en bas de l’escalier. J’ai eu la chance de pouvoir recevoir des enseignements passionnants de la part de psychiatres, de neuropsychologues, de travailleur.euses sociaux, mais aussi de personnes directement concernées par les troubles psychiques. Si ce parcours universitaire m’a beaucoup appris, il m’a aussi permis de mesurer mon propre rétablissement, mon propre rapport à la santé mentale, et mon rapport à l’institution psy en général.
J’ai toujours voulu reprendre mes études. Il m’a toujours paru idiot de choisir si tôt dans nos vies ce qui viendrait déterminer nos existences pour toute la suite. A 17 ans, après le bac, je n’avais aucune idée de qui j’étais. Je suis allée en classe préparatoire parce qu’on me disait depuis l’enfance que c’était ce qu’il fallait faire. Je ne me suis pas posée de questions. Je ne me suis pas rebellée. J’étais immature. Je ne savais même pas vraiment ce qu’on faisait à Normal Sup, et pourtant, je me tuais à préparer le concours qui y menait. Il a fallu me prendre toute la violence de la prépa à la française dans la gueule pour que je réagisse, après une bonne vraie phase dégueulasse de dépression et d’envie de crever. Moi la bonne élève, moi la première de la classe dans ma boîte à bac, je me retrouvais avec des commentaires assassins sur mes dissertations, des notes inférieures à 0, des humiliations constantes, même dans mes matières adorées. J’ai choisi d’aller à la fac ensuite sans vraiment en avoir envie, par défaut, parce qu’il fallait bien aller quelque part, sans prendre le temps de réfléchir à un métier, à une envie profonde. Cette période de ma vie est aussi celle de l’apparition de mes premiers soucis handicapants de santé mentale, évidemment. Je suis tellement angoissée que j’ai des hallucinations. La nuit, j’entends des rats ronger les pieds de mon lit. Il n’y a pas de rongeurs, même pas une petite souris. J’enchaîne les crises d’angoisse massive, monstrueuses, tétanisantes. C’est aussi la période de ma vie où je prends le plus de risques, cela va avec. Je bois, je fume, je sors trop, je veux vivre trop fort, je veux exister, je veux me trouver. Ca s’appelle décompenser.
Je n’ai aucun recul sur mes troubles naissants. Je ne sais pas en parler aux autres, je ne sais pas me confier à mes ami‧e‧s. Je suis une mauvaise pote. J’ai des grosses humeurs, je peux être cassante, méchante surement, et puis fuyante surtout. Je veux cacher que je vais mal. Je disparais des semaines entières, pour ne pas dire, parce que je ne sais plus comment faire pour sortir de chez moi. Je vis beaucoup en ligne, de l’autre côté de l’écran je suis quelqu’un d’autre, je n’ai pas de souci, je suis mince et jolie. J’irai mieux, un peu, avec mes premiers médicaments, après avoir quitté la prépa, mais le ver est dans le fruit. Je suis fragile, c’est comme ca qu’on dit. Il y a quelque chose de pourri au royaume de mes synapses. Je vais connaître de longues périodes de mieux, et puis je retombe, inéluctablement. J’avance à la fac, comme je peux, au rythme des emmerdements, de la vie, des amours, et de mon crâne qui menace chaque jour d’imploser. Mon père m’emmerde, il voudrait arrêter de payer la pension alimentaire, ma mère est au chômage, je me sens mal de cet argent qu’on me dispute, je commence à travailler, et puis j’arrête mes études. Avance rapide, burn-out. Presque 2 ans sans être capable de sortir de chez moi seule. On va me diagnostiquer une forme nouvelle de bipolarité, avec une ordonnance de 3 pages, une caricature de prescription médicale. J’ai l’impression d’être dans les mains d’un apprenti sorcier. Je ne fais que remplir des questionnaires sur mon degré de malaise, et gober des pilules. Diriez-vous que vous êtes un peu fou, complètement tarée ou absolument cramée ?Je n’arrive toujours pas à sortir de chez moi.
J’échappe à l’hôpital, je ne sais pas trop comment. Mon psy me propose plusieurs fois d’aller me reposer dans une clinique de son choix. J’ai de la chance, j’ai une bonne mutuelle, je peux choisir mon lieu de soin, et puis surtout, on me propose gentiment de prendre le vert, on ne m’impose pas l’internement, on ne me force à rien. J’ai aussi la chance d’être maintenue fermement hors de l’eau par mes plus proches, qui assurent le quotidien quand je ne peux plus travailler, qui s’inquiètent de mon bien-être, qui payent le loyer, qui supportent ma folie quand ils m’accompagnent en rendez-vous médicaux, quand je hurle de peur sur le périphérique en menaçant de sauter. Je suis une immense privilégiée. Ce sont ces liens sociaux, mêmes dysfonctionnels, mêmes toxiques pour certains, qui me tiennent en vie. Je ne suis jamais tout à fait abandonnée. Le filet de sécurité fonctionne assez pour que je puisse lentement me rétablir. Sans eux, sans ma mère, cette période de ma vie aurait été bien plus compliquée. On peut facilement imaginer des hospitalisations, la perte de mon appartement, plus du tout d’argent, des soucis administratifs à n’en plus finir, bref, un boulet supplémentaire bien lourd qui t’entraîne vers le fond trouble de l’eau, et qui t’empêche de respirer. Merci d’avoir fait mes courses, merci d’avoir répondu à mes appels à l’aide, merci de m’avoir écouté angoisser au téléphone jusque’à ce que je réussisse à respirer, merci de m’avoir sauvé de moi-même parfois, merci d’avoir payé mon loyer, merci pour la patience, merci pour les rires que vous m’avez arrachés. Merci de m’avoir fait rencontrer le bon psy, celui qui sort de la case et de l’obsession diagnostique pour m’écouter, celui qui me rend mes neurones et la capacité de m’en servir. Fini le lithium qui fait baver et l’anti-parkinsonien censé m’aider à me réveiller. Je ré-apprends à faire du vélo. Je quitte mon menteur de mec. Je vais aller mieux. Ca ne sera pas toujours le cas. Je vais retomber. Mais je sais maintenant à peu près comment m’en sortir.
J’ai appris à parler de mes troubles psychiques. A mes proches, à mes dates, à ma femme, à mon employeur même. J’ai appris a repérer les signes d’un décrochage imminent, j’essaie de me préserver. Je suis engagée dans un travail thérapeutique depuis plusieurs années avec un psychologue que je n’envisage pas de quitter pour le moment. C’est une chance, et encore une fois, un privilège d’avoir la capacité de payer ce professionnel. Je vois beaucoup moins mon psychiatre, nous avons une relation de confiance. Je sais qu’il sait modifier mes traitements au moment opportun, il sait que je sais dire si je vais vraiment mal ou pas, si j’augmente un peu ou si je descends d’un quart. La machine n’est pas réparée, je vais vivre toute ma vie avec mes fonctionnements, avec cette manière particulière de réagir à certains événements, mais je sais maintenant conduire ce bel et magnifique engin. Et ca n’a rien à voir avec la volonté, la méritocratie ne s’applique pas ici. J’ai eu de la chance d’être entourée, parfois de manière maladroite, imparfaite, mais bien présente. J’ai eu la chance de pouvoir accéder à des soins adaptés. J’ai eu la chance d’échapper à l’enfermement en psychiatrie qui abime et qui menace. J’ai eu la chance de m’en sortir. Il existe une autre dimension, toute proche de celle-ci, où ma vie a pris un tournant bien différent. Je ne l’oublie jamais. Et je voudrais la même chose pour toutes les personnes qui composent tous les jours avec la maladie mentale. Les mêmes opportunités, la même égalité des chances, la même qualité de soins, la même liberté, la même autonomie de décision et de vie, la même connaissance de leurs fonctionnements, la même possibilité d’éducation thérapeutique, la même opportunité d’être aidé et soutenu par des personnes qui ne sont pas des soignant.e.s.
Je pourrais parler des heures des enjeux de santé mentale, les relier à mes combats féministes, contre la grossophobie, contre les violences sexistes et sexuelles, revenir sur la nécessité du combat anti-psy face à l’institution, parler du tri social pratiqué encore partout, des drôles de liens entre la justice et la psychiatrie, parler de la condition des travailleur.euses handicapé.e.s des ESAT, j’aimerais, mais d’autres le font mieux que moi. Je me sens au début de quelque chose d’important pour moi, pour ma formation intellectuelle et militante. Ma vie aussi prend un nouveau tournant, puisqu’en réussissant mon diplôme, j’ai pris confiance en moi, j’ai rencontré des acteur.ice.s de la pair-aidance, de la santé communautaire, des personnes concernées comme on dit, des sources d’inspiration précieuses, qui vont nourrir mes réflexions, et m’animer tous ces prochains mois. J’ai aussi rencontré des professionnel.le.s de santé particulièrement investi.e.s, à l’écoute, des personnes rares qui m’ont laissé penser qu’il était encore peut-être possible de travailler avec la psychiatrie plutôt que de l’abolir tout à fait. Je ne sais pas si c’est possible pour dire la vérité. Mais je vais continuer à en explorer l’idée.
Quelques ressources intéressantes et inspirantes :
Inadapté.e.s, une folle histoire de l’antipsychiatrie par Freaks https://www.freaks-illustrations.fr/inadapt%C3%A9-e-s-une-folle-histoire
Le site Comme des Fous : https://commedesfous.com/
Le CEAPSY : le Centre Ressource IDF pour les personnes concernées par les troubles psychiques, pour leurs proches et pour les professionnels et ses temps de pair-aidance https://www.ceapsy-idf.org/
L’expérience du Lieu de Répit à Marseille https://recherchelieuderepit.fr/
Un bulletin Rhizome de l‘hôpital du Vinatier consacré au rétablissement : https://www.ch-le-vinatier.fr/documents/Publications/RHIZOME_Orspere-Samdarra/Bulletin-RHIZOME-N65-66.pdf
C’est quoi la pair-aidance ?
Les podcasts La Perche par la Maison Perchée