Consentement et hétérosexualité : un choix ou une arnaque ?

Depuis quelques jours, une nouvelle loi sur le viol fait parler d’elle. L’idée d’inclure la notion de consentement explicite peut sembler, à première vue, une avancée nécessaire. Pourtant, une angoisse me serre le ventre : et si cela devenait une nouvelle façon de faire du tort aux victimes ? Et si on assistait juste à un nouveau tour de passe-pass

Gros Plan
4 min ⋅ 31/01/2025

Je peux compter sur les doigts d’une main les partenaires cis-masculins qui m’ont explicitement demandé mon consentement. Encore moins de doigts pour celles et ceux avec qui j’ai pu, moi-même, exprimer clairement le mien. Pas parce que je n’en avais pas envie. Pas parce que j’étais contrainte. Je suis peut-être trop vieux. Et puis j’ai toujours pensé, tout au fond de mon ventre, que je n’étais pas de celles à qui on le demande. Nous, les grosses, les moches, celles qu’on baise en secret, avec honte, en racontant à l’officielle qu’on va faire du foot en salle, on n’a aucune notion d’un réel consentement. On ne sait pas qu’on vaut autant que vous, les autres, les minces, les belles, les populaires, celles qui rentrent dans les sapes chez H&M. On ne sait pas qu’on a le droit d’en faire moins, de refuser des pratiques, de choisir nos partenaires avec soin. On prend souvent ce qui vient, parce qu’on nous a raconté toutes nos vies qu’on n’était pas baisables, pas aimables. On prend les miettes. On accommode les restes. J’ai rarement dit non, parce que je considérais avoir tellement de chance qu’on me propose d’accéder au sexe, à la relation à l’autre, à la vie normale.

Toutes mes relations hétérosexuelles n’ont pas été des viols, entendons-nous. Mais, à part ceux qui préféraient me demander la permission avant de m’embrasser, je ne me souviens pas d’une demande explicite de mon consentement. Je pense que les hommes pensent que le dirty talk fait partie des obligations légales précoït. Que demander à une femme si elle aime sucer ou se faire enculer, c’est s’assurer d’un consentement un peu flou. Elle avait dit qu’elle aimait ça, alors j’y suis allé. Je ne me suis pas posé la question. T’avais dit que tu l’avais déjà fait. On m’a demandé parfois si je voulais m’adonner à certaines pratiques moins habituelles, plutôt sur le ton de l’ordre d’ailleurs que de la proposition. On m’a demandé si je prenais dans la bouche ou sur les seins. J’ai refusé, souvent. J’ai cédé, beaucoup. J’ai vu des hommes se lever, se rhabiller et partir, parce que je ne voulais pas, parce que je n’avais pas envie. Les hommes ne m’ont jamais vraiment proposé de dire non. Leur offre, c’était accepter le pacte sexuel imposé ou me priver de toute intimité, de toute tendresse. Trop souvent, c’était ça ou rien. Alors c’était ça.

Même mes amoureux, même les meilleurs d’entre eux, ceux-là même ont échoué à cette grande étape. Bien sûr, nos sexualités étaient moins glauques, plus heureuses, nous discutions de nos envies, de nos fantasmes. Mais une fois l’humeur coquine, une fois le corps caverneux réveillé, il n’était pas vraiment question de s’assurer de mon consentement. Je ne compte pas les réveils avec un sexe en érection qui se frotte contre ma cuisse ou mes fesses, sans aucune discussion préalable, sans aucun délire partagé. Juste un mec qui se frotte contre moi dans son demi-sommeil libidineux, comme un chien à un coussin quand il rentre en rut. Je n’ai jamais rien dit. L’appétit vient en mangeant. Voilà ce que je me répétais. Souvent, je vivais bien le rapport qui suivait. Parfois, j’avais la nausée. Mais c’était fait. On pouvait passer à autre chose. Next.

Je me suis demandée si j’avais déjà demandé le consentement d’un homme avant un acte sexuel, et puis j’ai vite réalisé que c’était un non-sens. Je n’ai jamais été en position de domination dans un rapport hétérosexuel. Je n’ai jamais vraiment décidé. J’ai toujours eu beaucoup plus à perdre, beaucoup plus à négocier, beaucoup plus à accepter. Je n’ai jamais vraiment été force de proposition, comme on dit dans les entreprises modernes. Je me souviens d’un moment, avec mon petit ami à l’époque, il était triste, je lui ai proposé de m’occuper de lui, j’ai insisté, pensant que ça lui changerait les idées, il a refusé plusieurs fois, j’ai abandonné l’idée. Mais j’ai le souvenir de ne pas comprendre pourquoi il refusait. Je n’avais pas encore compris le désir. J’avais 20 ans, peut-être. Ce n’est pas une excuse, mais un constat de débilité de jeunesse, d’immaturité. Plus tard, dans une relation plus légère, où j’avais l’ascendant, je crois avoir été trop loin dans nos pratiques, j’ai eu le sentiment de transgresser une limite. Quand j’ai posé la question, il m’a assuré du contraire. Je suis persuadée, à ce jour, d’avoir commis une faute ce jour-là. Je reste avec ça. Et depuis, je m’assure consciencieusement du consentement de mes partenaires. J’essaie. Au mieux. Plusieurs fois. Avant. Pendant. Après. J’aime ces moments de réassurance mutuelle, de check-point de l’envie, et de débrief. Ils font maintenant tout à fait partie de ma sexualité. Les hommes cis-héteros n’en font plus partie.

En posant le consentement comme un élément qui doit être explicitement formulé, je crois que cette loi risque de déplacer la responsabilité vers les victimes plutôt que de s’attaquer aux violences elles-mêmes. Elle impose une nouvelle norme sans interroger les structures qui rendent le viol possible : l’impunité des agresseurs, l’éducation à la domination, la banalisation des rapports de force dans l’intimité. Ce n’est pas en rajoutant des exigences sur la manière dont le consentement doit être exprimé qu’on empêchera les agressions, mais en déconstruisant les dynamiques de pouvoir qui les rendent si courantes.

Je ne sais pas à quoi ressemble le consentement éclairé d’une femme. Dans un système où les femmes hétérosexuelles sont socialisées à plaire, à céder, à ne pas déranger, peut-on vraiment parler de consentement éclairé ? Si tout, depuis l’enfance, leur apprend que leur corps appartient au regard et au désir des hommes, que veut dire "choisir" ? Le consentement n’est pas un bouton à activer, une simple phrase prononcée. Il est conditionné par des rapports de pouvoir, par des attentes intériorisées qui biaisent la notion même de liberté sexuelle. Il est aussi conditionné par les rapports entre les partenaires, économiques, maritaux, sociaux.

Le problème du viol n’a jamais été l’absence d’un "oui", mais la persistance d’une culture et d’une hétérosexualité qui ne sait pas entendre les "non", les silences, les hésitations, les douleurs. Cette proposition de loi s’inscrit dans une logique du tout répressif, sans aborder les véritables enjeux : l’éducation au consentement, à la réelle égalité, à la sexualité, à la remise en question des rapports de domination. Ce qu’il faut, ce n’est pas une nouvelle injonction faite aux victimes, mais une révolution des rapports de pouvoir et donc de l’hétérosexualité elle-même. Tant que ces fondements ne seront pas ébranlés, nous continuerons à créer des lois inefficaces et dangereuses, qui ne protègent pas mais renforcent les structures de domination. D’autre part, notre gouvernement actuel flirte dangereusement avec le conservatisme et le fascisme. Est-il vraiment opportun pour les féminismes de s’appuyer sur de tels émissaires ?

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Par Daria Marx

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