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Par Daria Marx
27 sept. · 4 mn à lire
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Santé mentale de droite, drôle de blague

Notre nouveau premier ministre a fièrement annoncé vouloir faire de la santé mentale une grande cause nationale. Étonnant, voir suspect de la part d’un homme politique de droite. Mais la santé mentale, c'est quoi ? Ca parle de qui ?

Pour aborder la “santé mentale” ( et pas la psychiatrie ), Barnier cite volontiers l’UNAFAM, l’Union nationale de familles et amis de personnes malades et‧ou handicapées psychiques. Comme ses petit‧e‧s ami‧e‧s de promo, comme Anne Genetet et ses grands-parents instituteurs, il revendique le lien familial, l’expérience, comme moteur de son désir d’agir : sa petite maman adorée était directrice de l’UNAFAM, jadis. Le choix de mettre en lumière une association d’aidant‧e‧s est évidemment un message politique : il permet de ne pas parler directement des personnes psychiatrisées, de leurs besoins, de leurs revendications, de leurs droits, il évite avec souplesse l’épineuse question de l’état  (ignoble) des services de psychiatrie dans nos hôpitaux. Plutôt que de promettre assez de soignant‧e‧s bien payé‧e‧s pour que les services de crise ou de soins ne ressemblent plus à des parkings où l’on gare en rang serrés celleux qui souffrent le plus fort, plutôt que d’annoncer la rénovation et l’amélioration de nos vieilles institutions vétustes, notre bon premier ministre préfère citer celles et ceux qui comblent déjà en partie les défaillances et les injustices de l’état : les aidant‧e‧s, les pair-aidant‧e‧s, les associations. 

Il est très important de se souvenir que l’UNAFAM n’est pas un regroupement de personnes concernées par les soins en psychiatrie. Ce n’est même pas une association de patient‧e‧s. Ce ne sont pas les personnes qui cohabitent avec des problèmes psychiques qui s’expriment, mais leurs parents, leurs ami‧e‧s, leurs conjoint‧e‧s. Si ces dernier‧e‧s sont sans doute de bonne foi, la distinction est importante. Ce n’est pas une citation du journal d’un fou, d’une malade mentale, ce n’est pas le témoignage d’un schizophrène que notre premier ministre a choisi de citer. Il a choisi de louer le travail de celles et ceux (principalement celles) qui comblent depuis toujours les manquements graves du gouvernement, de celles et ceux sans qui les personnes les plus malades, les plus éloignées d’une vie heureuse, ne pourraient pas fonctionner de manière autonome, faute d’investissement nécessaire dans des initiatives de rétablissement et de soins par nos dirigeants successifs. Je ne crois pas me tromper quand j’écris qu’il s’agit là d’un aveu à peine déguisé : cause nationale, d’accord, mais vous allez continuer à faire avec les miettes.

Le rôle des aidant‧e‧s est en voie de professionnalisation, c’est l’une des voies choisies par l’état pour éviter d’investir. Il faut là aussi opérer une distinction entre les aidant‧e‧s qui (à priori) ne souffrent pas de maladies mentales, les parents par exemple, et le concept novateur de la pair-aidance. Être pair-aidant‧e, c’est connaître dans sa chair les difficultés liées à la maladie, les frustrations, les mécanismes de crise, c’est souvent connaître la douleur, la violence et l’ennui de l’hospitalisation. On peut aujourd’hui devenir très officiellement pair-aidant‧e professionnel en suivant une licence de médiateur‧ice en santé. Je me suis intéressé à ce nouveau métier, j’y vois les promesses de l’entraide, de la mise en valeur des savoirs expérientiels, et l’empouvoirement des personnes concernées. Mais cela s’accompagne d’un rôle généralement difficile, d’abord, il faut accepter de devenir l’employé‧e d’un corps qui vous a fait violence, et d’en devenir le tampon : le rôle vous place par défaut entre l’équipe soignante et le « patient ». Devenir un maillon de la chaîne psychiatrique, c’est aussi en accepter toutes les défaillances. 

Il faut aussi se méfier de cette nouvelle mode de la santé mentale. Cette périphrase veut à peu près tout et rien dire, couvrant un territoire allant de la petite déprime post-rupture de ta copine, qu’elle soignera au yoga et à la tisane, à la schizophrénie invalidante du petit dernier.  Vous remarquerez d’ailleurs que si la dépression et l’anxiété sont plutôt plus acceptées, plus connues, plus pop, les manifestations plus bruyantes, plus violentes ou plus invalidantes de troubles mentaux sont encore très peu montrées. La santé mentale, tout le monde en a une, voilà le slogan qui va bien, c’est vrai, mais ca ne suffit pas. L’organisation des soins en psychiatrie (et les théories utilisées pour soigner) tels qu’ils sont pensés aujourd’hui permettent d’enfermer celles et ceux qui souffrent le plus des systèmes de domination actuels dans la case bien pratique du fou, de la folle. Si certaines féministes prennent plaisir en manif’ à afficher qu’elles sont les descendantes des sorcières échappées des bûchers, le lien pourtant évident ne se fait pas jusqu’aux psychiatrisé‧e‧s, aux aliéné‧e‧s, aux malades mentaux. Nous sommes les descendantes des folles qui ont échappé ou survécu à la psychiatrie, voilà peut-être un slogan plus difficile à assumer. 

Il n’y a rien à attendre d’un premier ministre de droite. Il y a encore moins à attendre d’un premier ministre de droite sur le plan de la santé mentale. L’exemple du traitement des personnes psychiatrisées et internées pendant les Jeux Olympiques est très parlant. Au nom de la bonne organisation de cette grande réunion populaire, il a été décidé que les personnes hospitalisées en psychiatrie devraient renoncer à leurs permissions de sortie pendant la durée des épreuves. Les fous, les folles, sont pensé‧e‧s comme des menaces à l’ordre public, à la sécurité de l’état. Il faut rappeler que c’est un juge des libertés, une personne ayant étudié le droit donc, qui peut décider de mettre fin ou non à une hospitalisation sous contrainte, au bout du 12eme jour, puis aux 6 mois révolus. Entre les deux, veuillez patienter, on va vous donner un peu plus de Loxapac pour faire passer.  C’est ce même juge des libertés qui est censé s’autosaisir au-delà de 48h de contention ou d’isolement des patient‧e‧s. S’auto-saisir. Mais bien sûr. En moyenne, la France enferme deux fois plus de personnes sous contrainte que tous les autres pays européens. 

Les mesures d'isolement et de contention concernent des personnes assez jeunes, surtout des hommes, entre 35 et 37 ans. Cela soulève évidemment des inquiétudes sur l'impact de ces pratiques sur leur avenir après l’hôpital, tant en termes de soins que de vie personnelle. Plus d'un quart de ces personnes sont en situation de précarité. Le taux moyen d'utilisation des mesures d'isolement, c’est 30 % des hospitalisations sans consentement, tandis que le recours à la contention mécanique touche environ 8 % de ces séjours.

L'usage de la contention et de l'isolement est surreprésenté pour les personnes atteintes de troubles du développement, comme l'autisme. Pourtant, l’hospitalisation psychiatrique n’est pas la prise en charge recommandée. Ces pratiques violentes seraient utilisées par l’institution pour pallier aux difficultés à répondre aux besoins spécifiques des personnes les plus vulnérables, qui nécessitent des soins adaptés. Les hospitalisations sans consentement avec usage de mesures d’isolement ou de contention sont aussi surreprésentées chez les détenus. On pourrait imaginer que c’est lié à des épisodes violents plus fréquents, mais on se rend compte que cela répond surtout à des exigences de sécurité qui ne reposent pas uniquement sur des critères médicaux. Les détenus sont perçus comme potentiellement plus dangereux, cela suffit.

Il est urgent que nous accordions la parole à celleux qui ont connu les privations de droits et de libertés liées à la psychiatrie en France. Il est urgent que nous répondions à leurs appels, que nous participions à leurs manifestations, à leur révolte. Il est urgent de dire que l’urgence en « santé mentale », c’est de libérer les fous, les folles, les interné‧e‧s faute d’autres moyens, celleux jugé‧e‧s inadapté‧e‧s. Luttons contre l’idée d’une société qui enferme celles et ceux qui ne performent pas la normalité, luttons contre l’idée rassurante d’une frontière bien étanche entre les fous et nous. Cessons de les cacher, de les enfermer, de les attacher et de les isoler pour nous rassurer. 

Les chiffres sont issus de l’étude Isolement et contention en psychiatrie en 2022 : un panorama inédit de la population concernée et des disparités d’usage entre établissements de l’IRDES, l’institut de recherche et de documentation en économie de la santé.

Je vous recommande la lecture de :

Charge: J'ouvre le huis clos psychiatrique de Treize

Les Antipsychiatries Jacques Hochmann 

Abolir la contention / La santé mentale, vers un bonheur sous contrôle, de Mathieu Bellhasen

Inadapté‧e‧s, une folle histoire de l’antipsychiatrie, par Freaks

Les fanzines : Si contraint c’est pas du soin / Pour une santé mentale auto-gérée

Je vous recommande l’écoute de :

LSD : Psychiatrie : la folie ordinaire, en 4 épisodes

Les émissions de Psylence Radio

La perche, le podcast de Maison Perchée

Le site Comme des fous, son podcast, ses témoignages


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