J’ai claqué la porte d’un taf qui me bouffait depuis 11 ans pour un job moins bien payé mais qui me fait du bien. Entre rage, vertige et excitation, j’apprends à marcher sans filet. Et vous ca va ?
Ecoutez, je suis désolée pour la semaine dernière, j’ai pas eu le temps. J’ai quitté un taf dans lequel je marinais depuis 11 ans sans espoir, comme un vieux hareng saur oublié au fond du frigo pour me jeter dans une aventure qui paye mal, qui me demande beaucoup plus d’énergie, mais qui m’occupe le cerveau et me redonne le goût à la vie. Il m’a fallu des années pour avoir le courage de partir, presque une centaine de dimanches à chialer que je ne voulais pas y retourner pour avoir assez confiance en moi pour sauter le pas. Je voudrais dire que je me casse comme une reine, en claquant la porte et en remontant le menton, mais je suis pleine de rancœur et d’amertume. J’attends mon solde de tout compte comme une délivrance, le coup de machette final pour me couper le fil qu’il reste à ma patte.
Pour mon dernier jour de taf, on m’a fait lever un samedi matin pour distribuer des cartons par ordre alphabétique à une réunion, comme si c’était indispensable, pour ne rien m’épargner. Et puis, trois heures après, trois heure à rien foutre donc puisque j’avais fait mon office de bonne donneuse de cartons (11 ans d’expérience) on m’a fait des déclarations bizarres et des remerciements creux, personne n’y croyait, ni eux ni moi. Et puis on m’a passé le micro, et j’étais tellement énervée, j’étais tellement saoulée de ce mauvais spectacle, j’ai pas su retenir mon vomi, j’ai ouvert la bouche et c’est sorti. Comment j’avais souffert et pourquoi je partais et comment ils m’ont bousillé. Ca a pas trop aidé à l’ambiance du pot de départ. D’ailleurs ils avaient oublié d’inviter mes collègues. Y’avait moi et des gens qui connaissaient à peine mon nom. J’ai bu un doigt de mauvais champagne pendant que les rebelles de la bande venaient me dire que j’avais bien raison de me barrer, que c’était même pas leur faute et qu’ils avaient rien à se reprocher, et puis j’ai dit tout haut que je quittais ce moment gênant. Le pire c’est qu’il y a surement de bonnes gens dans ce kilo de mou pour chat, mais quand tu bosses dans ce genre d’organisation (un jour je vous dirai), t’es transparent, tu existes à peine, tout écrasé par leurs envies, leurs egos et leurs carrières.
Il faisait super froid, j’ai pris un vélo, j’ai pédalé sans vraiment savoir où aller, je cherchais un café ou m’arrêter, j’étais comme dans une transe, j’étais pas vraiment là. J’y croyais pas. Enfin c’était fini. J’avais les jambes qui tremblaient, fallait que mon corps me signifie qu’il s’était passé quelque chose d’important, que c’était pas juste encore un samedi matin pourri, fallait qu’il se passe un truc de physique pour que ca s’imprime plus haut. J’ai finalement choisi la terrasse la moins triste de la gare de l’Est pour y poser mon spleen et mes fesses. Et puis ma femme est arrivée, et on est parties en week-end, et j’ai fait semblant d’oublier que je venais volontairement de lâcher un salaire confortable pour l’inconnu moins payé.
Je suis passée direct de la colère d’être maltraitée à l’angoisse du reste de ma vie qui arrivait, pas de répit pour les braves, pas de repos pour les anxieux. Les gens diront que j’ai fait un choix courageux, souvent je trouve surtout qu’il est inconscient, mais je ne pouvais pas continuer autrement. J’ai postulé à un poste qui me faisait vraiment envie, dans un domaine qui me plaît réellement, et j’ai réussi les 34 (4) entretiens, et j’y suis aujourd’hui, bien content, merci. Je gagne aussi 20% de moins. C’est comme ca, c’est la vie, j’accepte et mon coeur reste ouvert. Je vais continuer à écrire, à parler, à répondre aux invitations qui me sont faites en espérant gagner un petit complément de salaire. Et puis si je n’y arrive pas, c’est ok, je suis déjà immensément privilégiée, j’ai la chance d’être mariée à une épouse pauvre, mais solidaire de mes ambitions et de mes rêves. C’est mieux qu’une millionnaire.
Ca ira mais ca fait peur. Deux jours après l’accréditation de ma rupture conventionnelle, j’ai appris que nous allions devoir déménager. L’appartement de ma grand-mère, dans lequel j’ai la chance d’habiter, va être vendu. Je n’avais pas vraiment prévu cet obstacle sur ma feuille de route 2025. J’ai passé 10 jours dégueulasse à me dire qu’il fallait que je trouve un moyen de revenir en arrière, que je ne pouvais pas envisager de gagner moins d’argent, qu’on allait trop galérer. Et puis, doucement, à force de crises de nerfs et de calculs fiévreux, j’ai décidé qu’on s’en sortirait. C’es’est même pas un vœux ou une prière, c’est comme ca, c’est décidé.
J’avance.
Pas forcément sereine, pas forcément confiante, mais j’avance. Chaque matin, je me lève plus tôt qu’avant, plus tôt que pendant 10 ans, heureuse, avec un mélange d’adrénaline et d’inquiétude, un petit vertige qui me rappelle que je suis dans un moment charnière, que plus rien ne tient tout à fait en place, que tout est en train de bouger. Je ne suis plus immobile. C’est flippant. C’est grisant.
Je découvre ce nouveau travail, ces nouvelles personnes, cette nouvelle organisation qui, pour l’instant, n’a pas eu le temps de me broyer ni de m rendre invisible. C’est étrange d’avoir une place, d’être écoutée, d’être attendue quelque part. Les collègues sont heureux.ses de me voir. J’observe, je m’adapte, j’essaie de ne pas trop me laisser envahir par l’angoisse. J’essaie de me faire confiance, d’écouter mes instincts. Ca fonctionne assez bien.
Parfois, dans la journée, je me surprends à respirer un peu mieux. À oublier cette boule dans le ventre qui pourrissait mes dimanches, mes lundis, et mes autres jours aussi. À ne plus avoir cette fatigue écrasante qui me collait à la peau après des journées entières à me forcer, à avaler des couleuvres, à être niée dans ma dignité et dans mon intelligence.
J’ai choisi l’incertitude plutôt que l’étouffement. J’ai choisi le mouvement plutôt que l’immobilité. J’ai choisi quelque chose qui ressemble à la vie, même si elle me fait encore un peu peur.
Et je me dis qu’avec un peu de temps, avec un peu de chance, avec un peu d’audace, je finirai par trouver mon rythme. Peut-être qu’à un moment, j’arriverai à reprendre le sport, à travailler, à voir des potes. Tout ca en même temps. Une chose à la fois.