Gros Plan

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Par Daria Marx
3 août · 3 mn à lire
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Tous‧tes à l'eau, les allié‧e‧s et les gros‧ses !

Où je me demande où sont passés les seins nus de mon enfance sur les plages, pourquoi les gros‧ses restent en jean à la plage, et comment les allié‧e‧s manquent à nos luttes.

Cela fait maintenant un paquet d’étés que je me demande où sont passées les poitrines nues sur les plages. Pas les torses d’hommes cis, rassurez-vous, ceux-là occupent encore l’espace visuel de mes vacances, tantôt rouge cramoisi, tantôt glabres ou tatoués, on ne peut pas les rater. Je suis née en 1980 et je garde les souvenirs adolescents de ma mère seins nus à la plage, sans que cela attire les regards ou les remarques. Elle n’était pas la seule, la mode du monokini faisait rage. Depuis, nous avons appris à mettre de l’indice 50 et à craindre le soleil, et c’est tant mieux. Mais je dois l’avouer, toute l’année, j’attends le moment où je vais pouvoir me balader torse nu sur la plage, sentir ma peau se tendre sous le sel, les algues danser autour de mes mollets, et les mouettes hurler dans mes oreilles. Je me retrouve de plus en plus à être la seule personne à oser découvrir mes seins, et bien sûr, parce que je suis très grosse, parce que je suis visiblement gouine, parce que je suis tatouée ou parce que j’ai des gros bjej, je me sens regardée et commentée.

La situation se complique depuis que j’ai la chance d’être mariée à une grosse femme merveilleuse. Quand nous allons ensemble à la plage (ou ailleurs), nous ne savons jamais pourquoi les gens chuchotent à notre passage. Est-ce la flamboyance de nos corps ? Est-ce l’éclat de notre peau ? Sommes-nous trop grosses ? Trop gouines ? L’année passée, en Bretagne, bien installées sur nos serviettes, nous avions eu la chance d’entendre nos voisines discuter très librement de notre situation : pour elles, c’était trop. Jusqu’à un certain point, oui, on pouvait se permettre. Mais à notre niveau, non, à priori, ce n’était plus possible. Ce n’était plus élégant. Fascinées par ce jury populaire, nous n’avons pas eu l’intelligence de demander ce qui rendait le verdict si clair, de nos identités ou de nos poids combinés. Si la lesbophobie a encore de très beaux jours devant elle dans le Grand Ouest comme ailleurs, je pense que c’est notre grosseur décomplexée qui fait tant parler.

 
D’autres grosses personnes vont à la même plage, je les devine habillées de la tête aux pieds de complexes, d’injonctions et d’interdictions. Elles flottent tout autour de leurs corps comme des bouées clignotantes. Alors qu’elles se pensent invisibles, bien coincées dans leur jean de plage, dans leur pull de plage, alors qu’elles hurlent à leurs familles et à leurs ami‧e‧s que non, vraiment, elles ne veulent pas aller se baigner, qu’elles n’ont pas trop chaud et que, d’ailleurs, elles ne vont pas tarder à remonter, je ne vois qu’elles. Moi, tout gras dehors, les tatouages prêts à bondir de mon derme pour répondre à chaque regard malvenu, à chaque parole blessante, moi qui pense mon corps comme un véhicule publicitaire pour l’inclusivité, je les reconnais, je les aime. Pourtant, souvent, elles se rangent du côté des autres. Elles se réfugient dans une toute petite place que je connais trop bien, celle de la bonne grosse, celle qui essaie de maigrir, celle qui ne montre pas trop qu’elle est humiliée et discriminée, celle qui n’ouvre pas sa gueule et qui se laisse rire au nez.

 Je ne peux pas leur en vouloir, c’est une stratégie de défense comme une autre. Être solidaire avec les autres gros‧ses, c’est accepter qu’on fait partie de la même bande, c’est se désigner soi comme cible. Ce n’est pas facile. Il nous faudrait plus d’allié‧e‧s. De personnes non-grosses, prêt‧e‧s à faire taire les conversations sur le corps des autres en terrasse ou à la plage, des minces qui s’élèvent contre le body-shaming, qui s’inquiètent de la taille de la chaise et du confort d’une voiture. Cet été, faites votre révolution, soyez un‧e allié‧e. Commencez simplement, sortez des conversations qui accordent du crédit à la minceur, à un régime, demandez à votre vieille tante d’arrêter d’emmerder votre petite cousine qui reprend du melon à midi, soyez fermes, soyez héroïques.

 Si vous faites encore partie des gros‧se‧s en jean sur la plage, si vous n’osez pas vous approcher à plus de 300 m de la piscine municipale par peur des quolibets, si l’idée d’un pédiluve vous fout le cafard, courage, je suis avec vous. Je comprends votre peur, j’aimerais vous la voir transformer en rage. Vous avez tous les droits. Vos envies sont aussi légitimes que celles des autres. Vos corps sont bienvenus dans l’eau. Vous avez le droit à la fraîcheur, à la détente, à l’été. Et si on se moque de vous, si vous sentez des regards insistants, relevez la tête, et pensez à l’internationale de tous les gros‧se‧s qui vous soutiennent, qui bataillent avec les mêmes situations, qui osent et qui explosent en grosse bombe d’eau dans le bassin surpeuplé. Faites vos recherches, renseignez-vous sur les vestiaires, sur les horaires, sur les parkings, préparez vos affaires, entourez-vous d’allié‧e‧s si vous avez la chance d’en rencontrer, et foncez. Au bout du couloir, c’est le grand bleu, le grand kif, promis.

Pour en revenir à nos moutons, ou plutôt à nos seins conquérants et dénudés à la plage, je comprends que nous ne partageons pas tous‧tes le même rapport à nos corps, à la pudeur, à ce qui constitue ou pas la modestie. J’ai longtemps été contre l’idée d’une loi qui pourrait permettre à tous les torses de nager nus dans les piscines municipales, par exemple, de peur de voir les agressions sexuelles augmenter. C’est choisir la logique toute pourrie de la culpabilité dans le camp de la victime, mais le principe de réalité des mecs cis incapables de se contrôler en présence de poitrines nues me semblait prévaloir sur la liberté. Plus maintenant.

Je rêve de l’exemple de Lausanne en Suisse, où le règlement vient d'être mis à jour afin d'accepter toutes les tenues pour autant que leur fonction première serve à nager. Les piscines acceptent donc aussi bien le burkini et le topless. Je ne veux pas voir plus de seins nus à la piscine ou à la plage, dans les rivières ou dans la Seine (sos), je ne suis pas une activiste naturiste. Mais je veux que nous puissions profiter de l’eau et des installations sportives comme des mecs cis. En slip de bain acheté 2 euros au distributeur de la piscine comme en combinaison intégrale de plongeur frileux. Nous tous‧tes qui ne sommes pas des mecs cis, nous tous‧tes qui avons peur de laisser paraître un bourrelet, une cicatrice. Nous tous‧tes dont les règles rances de notre pays refusent l’accès au sport, à l’éducation ou à la vie publique sous des prétextes politiques. Tous‧tes à l’eau, et vite.

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