Gros Plan est ma newsletter : elle se veut un mélange entre l'exercice du blog et de la veille sur les sujets qui m'animent : grossophobie, féminisme, et luttes sociales. Chaque semaine, vous recevrez donc un texte qui mélangera des réflexions intimes, un partage de mon savoir expérientiel de personne grosse, queer et usagère de la psychiatrie, mais aussi des réactions à l'actualité, des recommandations et autres contenu merveilleux. En vous abonnant, vous soutenez aussi mon travail depuis 15 ans et vous me donnez un peu de force pour continuer !
Ok, j'ai menti, on va reparler de violences sexuelles, pardon. Plus précisément, on va parler de ce qu’on peut construire ensemble, de ce qu’on peut faire, de ce que j’entends comme une réponse féministe et communautaire à l’ignominie du monde. Rien que ça.
Dans le tourbillon du procès de Dominique Pélicot, ce qui me heurte le plus, ce sont sans doute les réactions des gens. Ce ne sont pas seulement les hommes bien pressés de défendre leurs pairs qui me terrorisent, mais aussi les réactions des femmes qui voudraient trouver des fautes aux victimes pour se prémunir du sort (non, on ne viole pas que les femmes qui portent des jupes, non, la pudeur ne sauve pas des agressions sexuelles, oui, ça arrive à tout le monde, tout le temps). Ce ne sont pas seulement les hommes bien fiers de dire qu’eux, jamais, vraiment, promis, d’ailleurs, vous pouvez demander à leurs exs, jamais ils ne violent, ce ne sont pas uniquement ceux non plus qui refusent même d’aborder ces sujets tant ils se sentent agressés par la « violence des féministes ». Ces hommes qui choisissent ce moment d’immense tristesse, de tension et d’angoisse pour toutes les féministes et pour un grand nombre de femmes, pour revendiquer leur pureté, leur gentillesse, leur perfection. Ces hommes qui se gargarisent quand ils changent de trottoir la nuit pour ne pas inquiéter une passante, qui se branlent dans leur supposée bienveillance sans jamais interroger leur privilège. Ces hommes qui ont des podcasts dans lesquels ils se vendent comme déconstruits, comme hors système, refusant d’examiner leur statut sous l’angle genré, puisqu’on est tous‧tes des humains du même sang au fond.
Ce sont certain‧e‧s influenceur‧euse‧s qui multiplient les publications simplistes mais bien-pop-bien-marketing-bien-slogan-facile pour continuer à exister sur les algos. Peut-être que je les jalouse. Elles et ils arrivent à voir plus loin que leur bout de leur nez traumatisé, à se projeter dans une stratégie de communication, dans un avenir où il est possible de concilier la parole sur les violences sexuelles et produits sponsorisés. Bien sûr qu’une part de moi s’en veut d’avoir loupé le coche de la fancy féministe, celle qui fait des opérations avec womanizer pour vous parler du plaisir clitoridien tout en résumant Monique Wittig. Une partie de moi est aussi ravie d’avoir continué à pouvoir dire exactement ce que je voulais, sans me restreindre, sans craindre de perdre un sponsor ou une amitié commerciale. La forme de radicalité dans laquelle j’inscris ma vie, mes rencontres, mes amours, et mes choix, me prive évidemment de ce genre de carrière. Et puis, soyons honnête, c’est un talent que je n’ai pas.
Ce sont aussi les féministes, certaines, qui se servent de l’incroyable et questionnante médiatisation de ce drame pour défendre leur agenda anti travail du sexe et anti porno. Je ne les jalouse pas, je ne les comprends pas. Quelle que soit notre opinion sur le travail du sexe, il faut protéger les travailleuses et les travailleurs en leur donnant des droits, une protection sociale, des papiers, c’est urgent, c’est nécessaire. C’est à mon sens le meilleur moyen de lutter contre la traite des humains, la prostitution des mineur‧e‧s, en rendant aux personnes leur humanité, leur statut de citoyen‧ne‧s. Les lois abolitionnistes prévoient des parcours de sortie de la prostitution indigents, qui n’assurent en rien la sécurité financière ou administratives de celles et ceux qui choisissent de s’y engager. Je ne veux même plus avoir de discussions sur le travail subi ou choisi, je ne veux même plus répondre aux arguments pseudo-psychologiques souvent misogynes et transphobes employés pour humilier et dénigrer le STRASS ou la fédération Parapluie Rouge. Il est urgent de mettre à l’abri légalement les travailleur‧ses du sexe, de leur permettre de cotiser pour leur retraite, de leur permettre de vivre avec leurs amoureux‧ses sans craindre de les voir accusé‧e‧s de proxénétisme.
C’est mon impuissance, ma flemme, ma peur. Plutôt que des lois répressives votées sous un gouvernement complice de l’extrême-droite, je crois dans la libération de la parole par les concernées. Je vous recommande l’écoute du podcast Violé‧e‧s, une histoire de domination, pour suivre le groupe de parole et de soutien formé par quelques victimes de viol. Certaines font le choix d’être suivies aussi par un psy, d’autres vont trouver tout ce dont elles ont besoin dans l’écoute active, le partage de l’histoire de l’autre, le soutien. Je crois que nous les féministes, nous les queer, nous les concerné‧e‧s, nous devons nous tourner vers des solutions d’entraide, vers des solutions de pair-aidance. Nous ne pouvons plus nous contenter de dire « je te crois et n’hésite pas à consulter ». Je lisais sur Twitter cette punchline très juste : on ne peut pas déléguer à la psychiatrie le SAV du taf féministe.
L’institution médicale et psychiatrique est trop souvent un endroit de violence supplémentaire, et qui repose encore trop souvent sur les théories fumeuses de la psychanalyse, que celles et ceux qui subissent l’enfermement sont privé‧e‧s de droits élémentaires. Parce qu’en France, aujourd’hui, certains services continuent à considérer la contention, l’abrutissement sous neuroleptiques et la chambre d’isolement comme des soins acceptables. Ensuite parce que l’argent fait un tri entre celles et ceux qui auront le droit de faire une chouette thérapie avec un‧e psy choisi‧e, et celles et ceux qui viendront grossir les listes d’attente des CMP, prochain rdv avec une infirmière psy dans 18 mois, vous prenez ? Bien sur il existe des lieux qui font mieux le taf, bien sur il existe des exceptions à la règle. Mais nous ne pouvons pas continuer à penser que cette vague orientation répond aux besoins des personnes qui subissent des violences sexuelles. Nous, je, ensemble, devrions monter tout autour de nous des réseaux de soutien, des unités de crise, des mode d’emplois communautaires à suivre. Au niveau micro, juste toi, juste tes potes, au niveau macro, les grandes associations financées par l’état ou les mécènes, parlons-nous.
Parlons à nos sœurs plutôt que de bloquer devant nos écrans devant le live tweet du procès. Parlons à nos ami‧e‧s plutôt que d’enchaîner les Faites Entrer l’Accusé sous la couette pour se convaincre qu’il existe pire ailleurs. Parlons à nos cousines, à nos petites, frontalement ou avec un vocabulaire choisi, personne ne doit être oublié, tout le monde et chacun‧e dans une accumulation de micro-cercles concentriques, jusqu’à ce que nous nous sauvions, jusqu’à ce que nous n’ayons plus besoin de nous sauver.
Merci de me suivre, merci pour votre soutien, merci pour vos partages. Ils sont précieux.
Daria Marx
Je ne m'appelle pas Daria Marx, mais c'est le nom de lutte que j'ai choisi. Daria pour l'héroïne adolescente aussi sensible que désabusée, et Marx pour un doux mélange entre Groucho et Karl. Depuis 15 ans, je milite de différentes manières contre le sexisme et contre la grossophobie : en écrivant, en témoignant, en participant à la création de l'association Gras Politique, en intervenant dans les écoles, en étant présente sur les réseaux sociaux... J'ai 43 ans, je suis mariée à une femme, j'ai un chat et un chien, je suis un rare juif-breton, et je me genre au hasard de l'humeur et des accords. Mon livre le plus récent est : 10 questions sur la grossophobie, paru en 2024 chez Libertalia.