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Par Daria Marx
26 juil. · 5 mn à lire
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Le sport, ce continent hostile, 2/4

Ou je fais la liste de toutes les raisons qui empêchent un accès au sport facile pour moi et plus largement pour les personnes grosses. Je parle de ma santé mentale, de la grossophobie médicale, de l'industrie du "bien-être" et des injonctions contradictoires faites aux gros‧ses.

Je me débats avec une santé mentale abîmée.  Je fais un burn-out sévère après trois ans dans mon premier « vrai » travail.  Je n’arrive pas à m’en sortir. Il y a comme un trou de deux longues années dans ma vie,  au début de ma trentaine, pendant lesquelles je suis incapable de sortir de chez moi. Je suis enfermée dans mon angoisse, emmurée dans une situation, dans une relation. La folie s’enroule autour de mon corps progressivement, comme un boa, pour m’étouffer et me tuer. Je me sens parfois partir pour de bon, ne plus toucher terre, perdre le contact avec le réel. Il faut sans doute avoir vécu ce genre de sensation pour me comprendre. Je ne sais plus dire les jours de la semaine, je n’ai plus de repères, tout se ressemble. Je mange et je fume et j’angoisse et j’attends.

Dans la ville de banlieue où j’habite, il y a un seul psychiatre, que je me force à consulter. C’est un charlatan, qui m’écoute à peine, et me colle un casque sur les oreilles. Pendant 10 minutes, je dois écouter des fréquences censées stimuler mon cerveau et me guérir. Il faudra que je quitte ma relation morbide, il faudra que je déménage, il faudra que je compte sur ma mère pour m’emmener à mes rendez-vous médicaux, il faudra tout réapprendre, gagner chaque mètre de plus sur le trottoir d’en face comme une victoire. Ma priorité c’était survivre. Faire barrage à mon cerveau qui s’auto-détruit. Quand respirer devient une épreuve, le reste devient accessoire. 

On m’a souvent dit qu’avoir une pratique sportive était bénéfique à la santé mentale. Je comprends seulement aujourd’hui ce que cela veut dire. C’est vrai, mais c’est une affirmation de privilégié‧e. Se mettre en mouvement est un privilège. On peut être empêché par des centaines de choses, plus difficiles ou plus mondaines les unes que les autres. La santé mentale bien sûr, la santé physique, mais aussi des soucis bien plus concrets : le manque de temps, le manque d’argent, un métier qui vous use, des enfants à gérer, des parents à aider. Dire qu’il suffit de trouver 15 minutes pour sauter sur son stepper devant la télévision est très condescendant. Bouger, mais surtout s’autoriser à prendre du temps pour soi, particulièrement quand on a été élevé comme une femme, c’est une histoire bien plus compliquée, pétrie de culpabilité et d’injonctions contradictoires. 

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