Gros Plan

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Par Daria Marx
18 oct. · 5 mn à lire
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Accoucher de Pascal Praud (à peu près)

Un billet du vendredi sorti des tréfonds de mes synapses anxieuses, viens à la piscine avec moi accoucher de Pascal Praud en écoutant des podcasts de True Crime, et autres anecdotes essentielles de la vie d'un adulte normal en 2024. (Vous vous entendez vraiment penser vous ?)

JJe nage presque tous les jours. Parfois une demie-heure, parfois une heure, souvent à l’heure du déjeuner, parfois en début de soirée. Toujours avec une forme de bonheur et de rage. Je nage mal, je n’ai aucun style, j’ai fait de la natation pourtant, il y a longtemps, adolescente. Je n’ai plus les gestes techniques, il ne me reste que « le gout de la glisse », c’est comme ça qu’ils disent, mon gros corps presque complètement délesté de ses contraintes physiques. Je me sens puissante dans l’eau. Je me sens joueuse aussi, comme un enfant, je fais des roulades et des vrilles, je joue à celui qui sautera le plus haut, les pieds qui tapent fort contre le fond carrelé, les yeux grands ouverts déformés par le chlore. Je ne mets plus de lunettes depuis un moment, je nage toujours au même endroit, j’ai appris à nager dans ce rectangle bleu, je me suis cassée les incisives en voulant plonger à l’envers juste là sur le rebord, je connais chaque centimètre du fond par cœur, chaque morceau de liner manquant et les grincements différents de chaque marche des échelles. Cette piscine, c’est un peu l’image que je me fais de l’utérus de ma mère, il fait chaud, c’est familier, les bruits du monde sont étouffés par l’eau, je n’ai qu’à flotter, je n’ai qu’à respirer.




Malheureusement, je ne suis plus un fœtus. J’ai donc une conscience, peut-être même une âme, je cohabite donc avec des soucis, des joies, des trucs à faire, des grandes angoisses et de petites peurs, des ruminations ancestrales, des questions idiotes, le souvenir de tous les moments honteux de ma vie, et un morceau de peau qui me fait mal juste au coin de l’ongle de mon pouce gauche. Selon les périodes de ma vie, selon les saisons de ma santé mentale (quel poète), je gère plus ou moins bien le flot des informations qui se télescopent entre mes deux oreilles. Quand je vais bien, je suis une machine de guerre de l’organisation mentale, j’ai une liste de choses à penser, de décisions à prendre et de grands dilemmes moraux à arbitrer que je déroule au fil de ma journée. Quand je vais ‘moins bien’, tout m’active, tout cherche à me nuire. Les petits emmerdements quotidiens deviennent des Everest à escalader sans sponsorisation par Nord VPN, tout se mélange, et je peux passer 45 minutes à me flageller intérieurement, car la blague que j’ai voulu faire à la voisine hier soir dans l’ascenseur était nulle. Je lui ai demandé à quel étage elle allait, elle m’a répondu 8, j’allais au 4, j’ai donc dit « vous me déposez », pensant me rompre aux codes sociaux des interactions nulles. Elle m’a répondu : « j’ai pas le choix ». Et elle m’a tourné le dos. Silence gênant. J’ai essayé d’arracher la peau de mon pouce pendant le trajet vers le 4e, en vain.




Je cohabite aussi, au pire de ma forme, avec des phobies d’impulsion. Mon cerveau est en alerte rouge en permanence et m’envoie des signaux complètement cons. Par exemple, si je roule en scooter, je me mets à envisager la possibilité que je puisse avoir envie de m’encastrer dans le prochain camion. Je n’ai aucune envie de me faire du mal, mais mon cerveau se met à danser une Zumba psychotique, envoyez les bongos et la boîte à rythme : woooohooo attention, peut-être que tu vas avoir envie de renverser ce piétooooon, woooohooooo et si t’avais soudainement envie de te jeter par la fenêtre, wooooohoooo. C’est Radio FG fréquence zinzin dans ma tête, vos programmes préférés tous les jours, à la même heure ! Ta gueule. Cliniquement, c’est un symptôme très bien identifié, tout le monde en a, ce n’est pas inquiétant. C’est juste très pénible quand ca prend toute la place, et que tu ne parviens pas à sortir du grand-huit. Certaines personnes savantes pensent que ces pensées intrusives sont comme des troubles obsessionnels compulsifs, des signes d’anxiété. J’ai aussi des phobies d’impulsion directement liées à mes traumas, j’ai peur d’être violente, j’ai peur de reproduire les violences subies, bref, je suis une petite pochette surprise de paillettes et de bonne humeur. Et je saigne du coin du pouce maintenant.




J’arrive à faire taire la majorité de mes pensées intrusives et de mes régurgitations crâniennes en m’adonnant à une autre compulsion : l’écoute obsessionnelle de podcasts. Je pense que je dois écouter, en moyenne, entre 4 et 6 heures d’émissions par jour. Le silence, c’est rarement un bon moment. C’est pour ça que je ne médite pas, j’ai essayé pourtant, j’ai fini collée au plafond par un seum plus puissant qu’une glue industrielle. J’ai de la chance, il y a des millions d’heures de baladodiffusion à vivre aujourd’hui, on trouve toujours quelqu’un‧e qui veut raconter sa vie en plusieurs épisodes quelque part dans le monde, quelle époque formidable nous vivons. Je caricature, bien sûr. Je suis vraiment reconnaissante à toutes ces voix qui m’apprennent, me distraient, m’élèvent, me font rire. Et me permettent de faire taire les miennes. Enfin je n’entends pas vraiment de voix, je précise, j’ai eu ce débat récemment avec ma femme, il paraît qu’il y a les gens qui s’entendent parler quand ils pensent, et les autres. MMoi,je suis les autres, et à chaque fois que j’essaie de m’imaginer faire partie de l’autre camp, je deviens fol. Quel enfer de s’entendre parler toute la journée. Est-ce que votre voix intérieure change quand vous avez le nez bouché ?




A la piscine aussi, j’écoute des podcasts. Certaines personnes ont des playlists musicales pour accompagner leurs efforts, le BPM calibré sur les répétitions de musculation ou sur la vitesse de la course. Moi, je nage en écoutant des horreurs, ca me donne envie de casser des bouches, ca m’allume le feu intérieur sur 280° pyrolyse, je m’ébroue comme un chien de garde et je brasse comme si ma vie en dépendait. J’ai toujours pensé qu’il fallait connaître son ennemi pour pouvoir déjouer ses pièges. J’ai une véritable fascination pour l’assurance déployée par les fascistes de tous bords pour étaler leurs idéaux claqués en public. Qu’on me donne seulement la confiance en moi d’un Hanouna sur Europe 1 (soupir). J’essaie de ne pas leur donner d’écoutes supplémentaires, je télécharge donc les épisodes par des voies obscures, j’essaie de me donner bonne conscience. Mes ami‧e‧s prétendent que je suis masochiste, que je me gâche le peu d’innocence qu’il me restait en écoutant un chroniqueur cocaïnomane déblatérer des heures sur ‘ces étrangers qui viennent chez nous demander l’AME pour se faire recoller les oreilles’, mais j’y vois au contraire une mesure préventive à mon effondrement. Je sais contre qui je me bats. Je sais identifier les dog whistles, ces appels du pied à l’extrême-droite, à la haine de l’autre, je reconnais les codes et les déguisements des journalistes, je vois clair dans l’organisation des médias et des puissances en place (spoiler : il s’agit souvent d’hommes blancs milliardaires et réactionnaires).




Parfois, j’abandonne mes ennemis pour me consacrer à des grandes séries documentaires sous la forme de podcasts. J’ai la chance de parler anglais, et mon offre est donc démultipliée. J’ai adoré The Retrievals, qui enquête sur une affaire criminelle réelle concernant une infirmière ayant volé leurs anti-douleurs à des femmes en traitement de FIV, les condamnant à subir les interventions sans analgésiques. Je me suis passionnée pour Love, Janessa, qui explore une vaste escroquerie amoureuse en ligne, de ses ressorts psychologiques. En français, foncez sur la série Loveur Voleur, chez Louie Media. J’ai adoré Hoaxed, qui raconte l’histoire d'une fausse théorie du complot qui a pris de l'ampleur en 2014, impliquant deux enfants à Londres, qui prétendent que des écoles, des églises et des parents font partie d’un réseau de pédophilie satanique. Je pourrais en citer des dizaines et des dizaines. Dans ces récits et dans leurs analyses, je retrouve ce qui m’habite aussi dans ma vie : les histoires des autres, leur singularité bien sur, mais aussi le recul nécessaire à une lecture systémique et matérialiste des événements de vie, des ratés et des possibles à mettre en place. J’adore aussi les podcasts qui reviennent sur mes séries préférées, Office Ladies avec Angela et Pamela de la série The Office, The history of Curb Your Enthousiasm qui décrypte la série épisode par épisode, Talking Sopranos avec Michael Imperioli and Steve Schirripa … En France cette tendance arrive avec le podcast Amies de Slate, ou avec le travail de Mymy Haegel (mais en podcasts) qui revient sur ses séries préférées avec beaucoup de connaissances et d’humour. On se prend à rêver d’un programme qui reprend un par un les milliers d’épisodes de Plus Belle La Vie, juste pour la beauté du geste.




Il y a 15 jours, j’ai perdu mon mp3 aquatique. Ce petit rectangle bleu Décathlon, avec ses deux gros boutons, un genre d’Ipod cheap en plastique, est parti vivre une autre vie avec un autre nageur. D’abord, j’ai cru qu’il reviendrait. C’est une de mes grandes théories de vie. Oui, vous pouvez vous moquer. Quand je perds quelque chose, j’attends qu’il revienne. Évidemment, ma chaussette gauche ou mes écouteurs n’ont pas de pieds ou d’agentivité, je ne suis pas folle vous savez. Mais je suis convaincue que c’est en les ignorant que je vais les retrouver. Fuis moi, je te suis, tu connais. Je vous jure que ca fonctionne. Cette fois-ci, ma tentative psychologique de manipulation du réel n’a pas abouti. Petit ange parti trop tôt après 5 ans de bons et loyaux services, tu me manques cruellement. J’ai essayé de nager à blanc, sans rien. Pour occuper mon esprit, je fais des calculs, des additions longues, je tente de déterminer la largeur de la piscine en superposant les mesures supposées du carrelage. Et puis, je déterre de vieilles histoires pour m’énerver toute seule, je compose mon propre podcast. Ah tu te souviens quand machine avait dit qu’elle serait là et que, bah, en fait, et bah elle était pas là ? Ah ouais et bah bravo hein. On peut plus compter sur personne. Et puis, de toutes façons, gniagniagnia, etc. Et puis parfois, je me laisse aller à une grande mélancolie un peu métaphysique. J’ai pas de raison particulière d’être triste, mais je trouve que le moment s’y prête. Il fait nuit dehors, la lumière automatique du bassin ne se déclenche pas si je nage bien à gauche (oui je suis seule dans la piscine, c’est incroyable), j’essaie de nager le plus silencieusement possible, tout est bruissement et silence. Et tristesse. Parfois, je pleure, mais c’est chouette. Y’a plus de différence entre l’eau et moi et le reste.

J’ai racheté un lecteur de mp3 waterproof. Le même. Je retourne dans le ventre de ma mère écouter Pascal Praud. Quand je suis née, il paraît que j’étais morte de rire, un bébé qui rigole, quel bon présage. Cette fois-ci, l’accouchement sera plus difficile. A la sortie de l’eau, j’ai encore envie de taper. Je devrais peut-être retenter de méditer.

(J’adore aussi le podcast Absolument Fabuleuses avec Paloma, reine de France depuis sa victoire dans Drag Race France, et la journaliste Elodie Petit) (Elles ne sont pas fascistes, promis).

Merci de me lire, merci pour votre soutien, merci pour votre fidélité (la semaine dernière, une jeune personne m’a dit “je lisais ton blog quand j’étais ado c’était super”) (est-ce donc ceci la vieillesse ?).

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