Gros Plan

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Par Daria Marx
2 août · 6 mn à lire
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Le sport ce continent hostile, 3/4

Ou je me frotte avec le mouvement, l'exercice, que dis-je le sport ? je pédale, je marche, je nage, mais je ne me trouve pas digne de me dire sportive ! Ou je fais la rencontre de l'initiative des maisons Sport Santé, et de mes camarades de gym de plus de 80 belles années.

C’est mon ex qui interroge d’abord mon rapport au mouvement. Il fait beaucoup de vélo, il voudrait faire de longues randonnées, lui, il n’a pas peur. Il a du mal à comprendre pourquoi je bloque, on en parle longuement. J’ai de la chance, il comprend très bien les enjeux liés à la grossophobie, je n’ai pas besoin de l’éduquer. Il n’hésite pas à ralentir le pas lorsque je peine, il prend soin de choisir des itinéraires doux, il fait des efforts qu’on a jamais fait pour moi, il me rend les balades plus accessibles, plus jolies. Il devine quand je fais bonne figure et me propose des pauses. Je ne peux pas dire qu’il me rassure, mais ses questions et son exemple viennent me bousculer. Après tout, pourquoi ne pas essayer ? Il n’est pas question de « faire du sport », tout doux ! Je veux juste sortir de la sédentarité. Ce mot qu’on nous répète sans cesse, cette notion devenue le nouveau mot-valise de la santé, je l’adopte en bonne consommatrice de choses pour me torturer. Pour ne pas mourir, il faut sortir de la sédentarité, il faut manger-bouger !

Ce mot s’impose depuis quelques années comme le nouveau régime à la mode, le sésame censé nous éviter pépins de santé et vieillissement accéléré. Selon votre interlocuteur, il peut vouloir dire des choses radicalement différentes. Pour le gouvernement, c'est après tout une cause nationale, il s’agit de bouger au moins 30 minutes par jour, et réaliser toutes les activités qui différent du repos : marcher, s’étirer, jardiner ou faire le ménage sont autant d’actions qui, selon la France Officielle, vous font bouger. Pour mon médecin généraliste, il faut descendre du bus deux stations avant mon arrêt, ca prend pas beaucoup de temps mais ca peut tout changer ! Pour l’influenceur sport, il s’agit d’aller à la salle et de faire du cardio et de la musculation, et ne jamais oublier son shake de prot’. Pour les filles, il faut courir, pour les garçons, il faut soulever des trucs. Personne ne s’accorde sur une définition, mais tout le monde le hurle en chorale : être sédentaire, c’est signer son arrêt de mort. 

Depuis que les régimes restrictifs sont tombés en disgrâce, l’industrie du bien-être a changé de vocabulaire pour continuer à gagner des millions. On ne vous demande plus de faire des diètes farfelues, mais on vous conseille de manger keto, c’est à dire sans glucides, sans féculents, mais avec un maximum de gras et de protéines. On parlait du régime Atkins à mon époque, mais ca ne marche plus aujourd’hui. Il faut pouvoir argumenter, inventer une histoire autour des prescriptions nutritionnelles à la mode. On ne vous demande plus de limiter l’apport de graisses animales, mais on vous vante le mode d’alimentation des hommes préhistoriques, le régime paléo. Il faut alors éliminer tous les aliments transformés, les sucre, mais aussi les légumineuses, puisqu’elles n’étaient pas encore cultivées au temps du paléolithique. Et si vraiment vous continuiez à rechigner, il reste la nouvelle pratique à la mode, celle de la déesse du glucose, la surveillance du « sucre dans le sang », jadis connue sous le nom de régime à indice glycémique bas. 

Bref, on recycle les vieilles méthodes qui ne font pas maigrir sur le long terme, mais qui donnent au moins pendant quelques mois l’illusion de la réussite. Sachant qu’un glucide conserve 4 grammes d’eau dans votre corps une fois ingéré, leur simple réduction dans votre alimentation vous fait mathématiquement perdre du poids, sans pour autant perdre le moindre cm3 de gras. C’est un peu la même soupe ( aux choux ) pour l’activité physique : on ne vous hurle plus qu’il faut faire du jogging ou de l’aérobic, mais la chasse à la sédentarité devient une nouvelle valeur santé. Même moi, je me mets à rêver d’un bureau debout équipé d’un tapis de marche, à force de vidéos Instagram de gens heureux, bronzés et ravis de trottiner devant leurs fichiers Excel. J’ai même commencer à faire des recherches pour m’équiper, et sans surprise, la majorité des tapis accessibles à mon budget ne sont pas prévus pour supporter mon poids. Rien de neuf sous le soleil du fitness, vraiment. Cela m’aura permis d’économiser 500 euros, et de ne pas risquer de crise diplomatique avec ma femme quand le tapis finira inexorablement sa course au milieu du salon, ramassant poussière et poils de chien.



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En tout cas, entre matraquage pro-mouvement et encouragements amoureux, je me remets au vélo dans Paris. Avec l’assistance électrique, en velib’ ou en Lime, je retrouve la joie de rouler, de me promener, de me perdre. Mon scooter passe des semaines entières au parking. Mon corps est capable de rouler, de me ramener à bon port, c’est un émerveillement retrouvé à chaque trajet. Bien sur, je me culpabilise, je me dis que je triche, que je ne suis pas vraiment cycliste, puisque j’ai un moteur qui m’aide à la moindre difficulté. On ne change pas une équipe qui gagne, mon cerveau est toujours prêt à m’en faire baver. La grossophobie intériorisée est un fléau terrible.

Je me mets ensuite à marcher de plus en plus. Je développe pendant un moment une obsession pour les fameux 10k pas par jour, jusque’à tourner en rond dans mon salon pour les obtenir, jusqu’à ressortir à 23h52 par peur de rater mon but. Je fonctionne par fixettes, c’est le cas depuis toujours. Je suis à la fois euphorique d’y arriver, j’ai la sensation de me prouver quelque chose, je sens mes mollets et mes cuisses se renforcer, je me sens puissante. Mais je me sens aussi coupable dès que je peine à remplir cet objectif, je commence à compter dans ma tête chacun de mes déplacements, je sais dire combien de pas me séparent du parking, de la boulangerie ou de l’arrêt de bus. Me promener n’est plus un plaisir, mais une longue succession d’additions. Comme tout ce qui ressemble à de la compulsion, ou tout ce que j’entreprends par masochisme, par angoisse ou par grossophobie intériorisée, je finis par abandonner. Je me sens, comme d’habitude, comme une énorme merde, incapable de me tenir à un objectif, je ne vous refais pas le discours au complet, vous commencez à comprendre la qualité de mon estime de moi et ma capacité à me détester.

Ironiquement, j’apprends que l’objectif de 10 000 pas par jour est une mesure lancée pour vendre un maximum de podomètres, qui n’a rien de scientifique. Un peu comme l’IMC, le rapport entre le poids et la taille aujourd’hui utilisé pour quantifier la santé d’un patient, d’abord développé pour les besoin des statistiques des compagnies d’assurances. Rien ne fait sens, et rien ne va. On nous ment, toujours. Les études scientifiques plus sérieuses que je consulte évoquent différents objectifs pour marquer l’activité : certaines débutent des 4500 pas, d’autres jugent que 6500 pas par jour sont suffisants pour se dire actif. J’ai du mal à comprendre comment un chiffre peut aller à tous‧tes, aux vieux, aux jeunes, aux sportifs, aux habitué‧e‧s, aux mères, aux travailleurs, mais soit, il me paraît déjà plus raisonnable. En effet, marcher 10k par jour m’obligeait à faire environ 1h30 de promenade, ce qui peut sembler facile, mais que j’avais du mal à boucler lors des mes journées les plus remplies.

Mon déménagement dans l’ancien appartement de ma grand-mère va m’aider : dans cette grande résidence moche des années 70, il y a une petite salle de sport désuète mais bien pratique, et surtout, une piscine. C’est un immense privilège. Pour le prix de trois entrées à la piscine municipale, j’ai accès tous les jours à un bassin propre et peu fréquenté. Je me mets à nager, plusieurs fois par semaine. J’aime l’eau depuis que je suis petite. Je nage mal, je ne suis pas élégante, mais j’avance. J’ai rapidement essayé de faire de la natation en club, au collège, mais les moqueries de bord de bassin avaient eu raison de mon enthousiasme. J’aime faire des roulades et des poiriers, j’aime longer le sol carrelé en apnée, j’aime les lumières qui se reflètent au plafond puis dans l’eau, j’aime même la douche trop froide que je prends en sortant. Je venais passer mes mercredis après-midi ici, je me suis même cassé les incisives en plongeant trop près du bord. Je suis bien. Souvent, je suis seule dans le bassin. C’est la meilleure sensation du monde. J’ondule. Je danse. Il ne m’en faut pas beaucoup pour m’imaginer championne de natation synchronisée, et pour tenter les pirouettes et les entrechats les plus gauches. La pesanteur oubliée, le volume de mon corps tout entier change, bouge et se tend. Dans l’eau, je ne pense pas à maigrir, je ne pense pas à faire du sport. Je suis un poisson. Je suis un champion olympique. Je suis un enfant. Je prends du plaisir. Je bouge, librement, avec joie. Enfin. Je ne me sens toujours pas sportive.

Portée par cette grande découverte, je cherche à me faire prescrire du sport. Après tout, je suis grosse, en obésité morbide même, et on arrête pas de dire partout qu’il faut se battre, qu’il faut faire quelque chose. Je pense donc naïvement qu’il doit être possible de se faire prescrire du sport adapté, sous forme de kinésithérapie ou de séances avec un coach diplômé en Activité Physique Adaptée. J’en fais la demande à mon médecin traitant, qui m’informe qu’elle peut effectivement me faire une ordonnance, mais que je ne pourrais rien en faire, qu’il n’existe pas vraiment de professionnels du sport remboursés par la sécurité sociale. En effet, l’APA ne bénéficie pas d’un remboursement par l’Assurance Maladie. Elle m’oriente vers le dispositif des maisons Sport Santé, en me confiant un petit dépliant pour une association sportive de l’arrondissement voisin du mien. Tel est le paradoxe de la soit-disant lutte contre “l’épidémie d’obésité” déclarée cause mondiale dans les années 1990 : en 2024, il est plus simple de prendre un rendez-vous pour se faire opérer d’une sleeve-gastrectomie que de trouver un endroit adapté pour (re)apprendre à bouger.

“Le ministère des Sports et des Jeux Olympiques et Paralympiques et le ministère des Solidarités et de la Santé ont créé le programme des Maisons Sport-Santé (MSS) en 2019. Ce dispositif d’accompagnement à l’activité physique s’adresse aux : Personnes en bonne santé qui n’ont jamais pratiqué de sport ou n’en ont pas fait depuis longtemps et veulent se remettre à l’activité physique avec un accompagnement à des fins de santé, de bien-être, quel que soit leur âge ; Personnes souffrant d’affections de longue durée à des fins de santé, de bien-être ainsi qu’à des fins thérapeutiques, quel que soit leur âge nécessitant une activité physique adaptée sécurisée par des professionnels formés et prescrite par un médecin ; Personnes souffrant de maladies chroniques pour lesquels l’activité physique et sportive est recommandée

Les Maisons Sport-Santé permettent à ce public prioritaire mais aussi toutes les personnes qui le souhaitent d’être pris en charge et accompagnés par des professionnels de la santé et du sport afin de suivre un programme sport-santé personnalisé susceptible de répondre à leurs besoins particuliers et ainsi leur permettre de s’inscrire dans une pratique d’activité physique et sportive durable.”

Sur le papier, ca donne plutôt envie. Je prends donc rendez-vous avec Claire, qui sera ma référente sport-santé, pour mon inscription, et mon test d’aptitude physique. Je stresse évidemment pour ce test, je m’imagine déjà haletante et cramoisie, incapable de réaliser les exercices demandés par cette Claire. Il n’en sera rien. Je presse des instruments qui mesurent ma force, on mesure la distance qui séparent mes mains de mes pieds quand je m’étire, je fais le fameux test des 6 minutes. Tout va bien, je suis même dans le haut du panier. Je m’aperçois rapidement que ma coach a l’habitude de recevoir des personnes de plus de 80 ans, pas tellement des quarantenaires névrosées. Je passe tous les tests haut la main, elle m’apprend même que je suis la personne la plus forte de tout leur panel (et elle ne veut pas dire grosse, promis). Bien bien bien.

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A la fin de notre entretien, elle me propose trois activités à tester : la gym énergétique, la marche santé, et la méditation. Rien ne me stresse plus que de méditer, je commence donc par la gym. Je me retrouve un jeudi à 18h dans une salle avec deux autres participants de plus de 70 ans. Ensemble nous pratiquons un genre de Taï-Chi pour les nuls, nous battons des bras et nous ancrons nos pieds, je m’ennuie très fort, Claire me demande de faire circuler mon Qi, je lui réponds que je ne crois pas aux pseudo-sciences, bref, l’ambiance se refroidit. Le samedi suivant, je me motive pour une marché santé dans un parc à côté de chez moi, j’attends 35 minutes au point de rendez-vous, personne ne viendra, ni Claire ni mes potes cacochymes de la gym. Je fais deux tours de parc pour la forme, et je demande à l’association de me faire tester d’autres sports. C’était il y a 4 mois, j’attends toujours. 

Je suis évidemment mal tombée, et je pense que dans d’autres structures, les maisons Sport-Santé peuvent être des passerelles intéressantes vers l’activité physique. Ce sont en tout cas des lieux où l’on peut bénéficier de séances avec des enseignant‧e‧s diplômé‧e‧s en activité physique adaptée à un prix vraiment accessible. Dans mon cas, les 3 premières séances sont gratuites, puis je règle un forfait de 50 euros pour 24 séances réalisables en 6 mois. Les modalités et les activités proposées sont différentes dans toutes les maisons. Ne laissez donc pas ma mauvaise expérience vous empêcher de vous renseigner auprès de la votre !

Dans la prochaine édition de cette newsletter, j’évoquerai ma rencontre avec la pratique sportive qui m’a convaincue : le Hiit ! Alors que rien ne me prédestinait à aimer soulever des trucs et grogner en faisant des pompes, me voilà, toute suante, devant vos yeux ébahis ! Je vous partagerai mes ressources en sport adapté, les comptes Instagram et les sites qui m’aident et me guident, ainsi que ce que j’envisage pour l’année prochaine !

N’hésitez pas à me faire part de vos remarques sur Instagram : @dariamarx ou par mail !

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